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C’est l’un des films les plus attendus de cette fin d’année 2019. Disponible dans les salles belges depuis le 2 octobre, Joker s’attelle à raconter la genèse de la némésis de Batman, sous les traits de Joaquin Phoenix.
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Le long-métrage fait l’objet d’une grosse polémique aux États-Unis depuis sa sortie, où de nombreux critiques lui reproche de faire l’apologie de la criminalité. Il a pourtant reçu le Lion d’or à la Mostra de Venise, et a frôlé les 200 millions de dollars de recettes dès son premier week-end de démarrage Outre-Atlantique. Voici notre verdict. Attention : spoilers.
Terrifiant Joaquin Phoenix
S’il ne faut retenir qu’un élément de Joker, ce n’est pas tant son histoire, que son interprète principal, Joaquin Phoenix, qui occupe la grosse majorité du temps d’écran. À 44 ans, l’Américain notamment connu en empereur romain fou dans Gladiator (2000) ou, à l’opposé, en gentil quadra déprimé et accro à son assistante virtuelle dans Her (2013), signe l’un de ses rôles les plus forts.
Il s’approprie avec brio ce personnage culte de la popculture, dernièrement incarné de façon irritante et hystérique par Jared Leto dans Suicide Squad (2016), et avant lui, par Heath Ledger dans The Dark Knight (2008), qui a marqué une génération.
Disons-le : une nomination aux Oscars serait plus que légitime pour Joaquin Phoenix, qui a été longuement ovationné à la Mostra de Venise en août dernier.
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D’une maigreur inquiétante, volontairement – parfois lourdement – mise en scène à grands renforts de plans qui s’attardent sur son corps très maigre, Arthur Fleck, vrai nom du Joker, mène une existence misérable. Clown par intérim, il vit avec sa mère, âgée, qui passe son temps devant la télévision quand elle n’envoie pas des appels à l’aide à son ancien employeur, le fameux Thomas Wayne. Homme d’affaires le plus riche de Gotham, vu comme une sorte de figure paternelle par une partie de la ville, et père d’un certain Bruce Wayne.
L’homme est l’incarnation du malaise, bien loin de l’image que l’on se fait du Joker, personnage aussi cruel qu’intelligent et charismatique.
Arthur Fleck fait de son mieux pour être « un bon garçon » : il cumule les petites missions humiliantes, essaie de se montrer joyeux devant sa mère, de faire ce qu’on lui demande. Son rêve ? Devenir comédien de standup. Mais ses blagues, à l’humour noir et bancal, sont plutôt l’expression d’un cerveau malade. L’homme est l’incarnation du malaise, bien loin de l’image que l’on se fait du Joker, personnage aussi cruel qu’intelligent et charismatique. Ici, il semble d’abord diminué, presque un enfant, persuadé de faire ce qu’il faut pour être respecté, et décontenancé face au rejet qu’il suscite. Avant d’évoluer vers un tueur sans pitié, à la démarche chaloupée, fière.
De nombreux gros plans sur le visage de Joaquin Phoenix, tordu, abîmé, montrent la multitude d’émotions qui traversent en permanence son personnage. Mais ce qui se dégage avant tout est une aura extrêmement inquiétante.
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Les multiples racines du Mal
Les autres mènent aussi la vie dure à Arthur Fleck. Ils se moquent, le font tourner en bourrique, le frappent, lui font bien comprendre qu’il n’a pas sa place parmi eux. En cela, le film est extrêmement anxiogène, déployant une violence physique et psychologique à la limite du soutenable.
Là où Joker pêche, c’est en insistant beaucoup plus sur cet enchaînement sans fin et indigeste de harcèlement, malchances, agressions subis par le Joker, que sur ses graves problèmes mentaux. Si on sait qu’il « prend des médicaments », aucun diagnostic formel n’est posé sur sa santé mentale. Une erreur, qui la fait passer au second plan.
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Sa manie de secouer ses jambes dès qu’il est assis, de secouer sa tête, ses nombreux soupirs lorsqu’il est contrarié, trahissent une grande nervosité. Son lugubre carnet de notes ne laisse aucun doute sur la noirceur de sa personnalité.
Pourtant, le film veut nous faire croire que c’est surtout à cause des oppressions, malchances, moqueries, bref, du rejet, qu’Arthur Fleck devient Joker. Jusqu’à ce qu’il décide, car c’est un choix, de retourner la violence contre les autres.
Le Joker est fou, et le film ne le dit pas assez.
Ce qui a valu une certaine nervosité aux États-Unis lors de sa sortie. Certaines salles ont interdit les déguisements, craignant que l’ultra-violence du film entraîne une nouvelle tuerie comme celle du cinéma d’Aurora (Colorado), en 2012, lors d’une projection de The Dark Knight Rises. Des familles des douze victimes ont même fait part de leur inquiétude auprès des studios Warner, face à la sortie de Joker.
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Le Joker est fou, et le film ne le dit pas assez. Confrontations, ou pas, il aurait fini par craquer, et tuer des gens. Car c’est un psychopathe inapte à la vie en société. Son sens moral est si mince qu’il craque facilement.
Dans la vraie vie, énormément de personnes affrontent aussi ce genre de situations, et ne deviennent pas pour autant des tueurs de masse.
À son assistante sociale, Arthur Fleck prévient « n’avoir que des idées noires ». Mais à ce moment, le film raccroche maladroitement deux wagons : les problèmes sociaux de Gotham, ville où les différences de classe sont énormes, et la santé mentale du Joker.
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Moralité incompréhensible
C’est là que le film nous perd, dans son dernier tiers. On assiste à une double escalade de la violence : celle, intime, du Joker, et celle des habitants de Gotham. Excédés de l’appauvrissement, ils voient dans les crimes du Joker l’expression ultime de leur colère. Une forme de soulagement bien méritée. Une jouissance collective.
L’idée d’un soulèvement populaire de masse, aussi rapide que violent, n’est pas un sujet nouveau pour le cinéma. Mais proposée dans une transposition qui rappelle l’Amérique de Donald Trump, cette proposition est glaçante.
D’autant que les habitants de Gotham sont ici tous présentés comme odieux, bêtes, menteurs, violents. Au point qu’on ne comprend pas si le réalisateur, Todd Philipps, les respecte ou non. Si ce n’est pas le cas, pourquoi, alors, créer une mini-société si polarisée où les pauvres sont dans le désoeuvrement ?
Joker soulève une multitude de questions. Ce qui peut être parfois la preuve qu’on a eu affaire à un grand film, libre à l’interprétation. Mais là, les questions s’accumulent parce que la moralité du film est impossible à saisir.
Naît-on tueur ? Peut-on avoir de la pitié pour un assassin qui a été martyrisé ? Est-ce la faute de « la société » si un homme profondément perturbé devient un meurtrier ? Pourquoi faire de Joker un martyr ? Est-ce le genre de récit que l’on a envie d’entendre aux portes de 2020 ?
Joker agace finalement en essayant de traiter la thématique : « Peut-on rire de tout ? », qui arrive comme un cheveu sur la soupe.
On croit voir une tentative ratée de Taxi Driver (1976). Robert De Niro – qui joue ici, ironie, un présentateur TV très populaire – incarnait un chauffeur de taxi au bord de la folie, se prenant pour le défenseur des plus faibles. On peut aussi penser à Fight Club (1999), film sans concession, mais beaucoup plus juste, où le duo Brad Pitt – Edward Norton propose une violence inouïe comme échappée aux vices de la société de consommation. Joker agace finalement en essayant de traiter la thématique : « Peut-on rire de tout ? », qui arrive comme un cheveu sur la soupe.
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Durant la promotion du film, Todd Phillips, qui a notamment réalisé Very Bad Trip (2009), a expliqué pourquoi il a arrêté les comédies. Il estime ainsi qu’avec la culture « woke, » qui s’attache à dénoncer les discriminations et milite pour une meilleure représentation des minorités dans la culture, il est devenu « impossible de faire rire ». En quoi prendre en indicateur un personnage dont l’humour est tordu et malsain au possible est censé aider sa cause ?
Joker prend des risques inutiles là où il se croit subversif. La culture n’est pas détachée de la société, elle lui renvoie un miroir. Celui tendu par Joker est immonde.
Source : marieclaire.fr
Joker, de Todd Philips, avec Joaquin Phoenix, Robert De Niro et Zazie Beetz, en salle le 2 octobre.
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