[ Long read ] Interview : Rilès, l’artiste qui révolutionnait la musique depuis sa chambre
© Victor Laborde

[ Long read ] Interview : Rilès, l’artiste qui révolutionnait la musique depuis sa chambre

Temps de lecture: 10 min

Il entre dans la pièce, vêtements colorés, tignasse à moitié domptée et sourire solaire. Tout de suite, il impose une sorte de force tranquille, un zen qui contraste avec l’énergie folle qui se dégage de ses concerts et de ses chansons. Rilès, artiste autodidacte de 23 ans, est le futur du hip-hop, et de la musique en général.

Son nom apparaissait sur notre radar depuis quelques années : Rilès, artiste complet de Rouen, a tout appris seul en regardant des tutos YouTube. Indépendant, il crée sa musique depuis sa chambre de a à z et la diffuse à ses propres termes sur YouTube. Et puis ça commence à prendre. Le succès, qui ne doit rien au hasard, est au rendez-vous et un album est annoncé. Le résultat ? Une vingtaine de titres variés, en anglais et tous plus addictifs les uns que les autres.

Il était de passage à Bruxelles pour nous présenter son premier album hyper attendu, Welcome to the Jungle. On en a profité pour parler chipmunks, tardigrades et featurings avec soi-même.

 

Marie Claire | T’as grandi à Rouen, c’était comment ?

Rilès | Je ne peux pas comparer vu que j’ai pas grandi autre part, mais je trouve que j’ai su m’épanouir, trouver mes passions et dépasser mes peurs. C’est une ville qui a un gros passé historique et culturel, mais c’est assez calme en général.

 

Donc tu dénotes un peu dans le décor…

Ah oui, alors là oui! Après, je viens de Rouen, mais aussi d’internet, un peu.

 

Justement, tu accordes quelle place à internet dans ta carrière ?

Une très grande place! Je pense qu’internet casse les frontières géographiques ; tu peux faire de la soul américaine même si t’es dans ta chambre à Rouen. Il faut juste connaître les codes culturels et s’en imprégner.

Après c’est la pratique la clé, il faut penser sur la durée et éviter le piège du court terme. Si on veut rester dans les esprits, il faut toujours avancer. Et une fois qu’on a compris ça, peu importe d’où l’on vient, on peut réussir à faire quelque chose.

 

Comment as-tu mis le pied dans la musique ?

Ca a été très progressif. J’ai commencé par faire des covers en 2011, j’en sortais un par semaine. D’abord seulement à la guitare, puis en guitare-voix. Après, je me suis lancé dans l’apprentissage du beat-making, du mixage, du mastering etc.

 

Et la guitare aussi, tu avais appris seul ?

Oui sur Youtube aussi! Je regardais la position des doigts et je refaisais la même chose. Je ne sais pas lire une note, encore aujourd’hui.

 

Tu faisais quoi comme covers ?

J’ai commencé par « Billionaire » de Brunos Mars puis « Otis » de Jay-Z et Kanye West. Je faisais des trucs assez urbains, je switchais entre le rap et le rnb. Mais à un moment je ne m’y retrouvais plus. Le piège des covers, c’est qu’on a tendance à vouloir reprendre la chanson la plus populaire du moment, quit à sacrifier notre intégrité artistique ou nos propres goûts musicaux. Je n’avais pas envie de tomber là-dedans, du coup j’ai tout supprimé.

 

T’as tout supprimé ?

Ah tout, tout, tout.

 

Et les gens n’ont pas manifesté dans Rouen ?

J’avais une petite fanbase, à peu près 1500 personnes, qui me suivait. Je leur ai dit « écoutez, maintenant il faut que je me lance dans mes trucs » et y a pas eu d’émeutes, j’étais personne à l’époque. [Rires.]

 

Après, tu as commencé les RilèSundayz, 1 chanson par semaine pendant 1 an, comment tu l’as vécu ? C’est intense.

Oui c’était très très intense et c’était un challenge! C’était assez nouveau pour moi et je me suis lancé dedans sans être préparé, dans le sens où j’avais pas prévu de sons à l’avance. Toutes les semaines, je charbonnais un son jusqu’au dimanche, et dès que ça sortait le dimanche, boum, je repartais à zéro. A chaque fois j’étais dans le rush total!

 

 

Tu as d’ailleurs repris certains titres des RilèSundayz dans ton album Welcome to the Jungle.

Oui, Utopia et Thank God. Je pense que ce sont les deux titres les plus forts et les plus phares des RilèSundayz et j’avais envie de les intégrer dans un projet artistique plutôt que de les laisser à la dérive en singles.

 

C’est quoi ton processus créatif ? Tu l’as forgé avec les RilèSundayz ?

Oui, ça m’a forgé. Avant les RilèSundayz, j’étais le type qui mettait trois semaines à faire un couplet. Ça m’a donné une rigueur et une espèce de coup de pied au derrière qui m’a fait me dire « regarde, tu peux faire des sons en une semaine sans pour autant les bâcler ».

 

Il faut faire attention aux détails objectifs et à la qualité du travail, mais pas se noyer dans les détails subjectifs et insignifiants.

 

Ça m’a aussi fait prendre conscience du fait qu’il fallait être efficace dans le travail, et pas toujours forcément chercher la petit bête, comme la prononciation parfaite et des trucs comme ça. Là, il y a un son dans l’album que j’ai enregistré en 5 heures et c’est un de mes préférés. Des fois il faut y aller juste au feeling. Ça reste de la musique, des fois le diable se cache dans les détails, et on peut vite tomber dans la « sheitanerie ». [Rires.]

Alors oui, il faut faire attention aux détails objectifs et à la qualité du travail, mais pas se noyer dans les détails subjectifs et insignifiants. Des fois, quand j’égalise des voix, je me dis « ah peut-être que la fréquence un tout petit peu au-dessus, ce serait mieux » alors qu’il y a littéralement zéro différence. C’est juste entre toi et toi-même.

 

D’ailleurs quand il y a des harmonies dans tes chansons, comme dans « I love You », c’est toi qui fais toutes les voix ?

Ouais! J’essaie de bidouiller ma voix! D’ailleurs pendant les RilèSundayz je faisais souvent des featurings avec moi, version fille.[Rires.]

Je demandais à des filles de poser leur voix sur mes sons mais elles ne voulaient pas en général. Donc je me suis dit « ok c’est bon je vais le faire moi-même ».

 

Comment tu fais ça ?

Tu modifies non pas le pitch — ça c’est ce qui fait que tu sonneras comme un chipmunk ou que t’auras une voix super grave — mais le formant. Les formants, c’est ce qui va faire que ta voix sonne plus féminine ou masculine. Du coup quand tu t’enregistres il faut déjà un peu imiter une voix de fille, puis tu augmentes un tout petit peu les formants!

 

C’est pas un album qu’on pourrait décrire comme joyeux, on sent la galère pour arriver jusque là, c’est une vraie introspection pour toi, la musique ?

On dit « si tu ne peux pas être un poète, sois le poème ». Du coup, je me base sur mes expériences. Je suis un peu mon propre cas d’étude et j’essaie de mettre ça en prose, si je puis dire.

 

D’ailleurs, comment on met autant d’âme dans ses chansons à vingt ans ?

Ca je m’en rends pas trop compte, j’essaie juste de faire de la musique qui me parle, qui puisse me donner un peu de force. Le reste, c’est dans l’univers. Je n’ai pas encore assez de distance avec moi-même pour savoir pourquoi je fais de la musique un peu soul ou profonde.

 

C’est quoi, la patte Rilès ?

C’est en perpétuelle création ça. Mais je dirais : toujours de l’honnêteté dans les sons, ça c’est super important. Et puis de la soul, de l’autotune dans les backs, et surtout le flow. J’essaie de varier les cadences, d’expérimenter et d’avoir toujours ce coté « anthémique ». Dans la plupart de mes sons, j’essaie de faire en sorte que ce soit un peu des hymnes, des trucs assez puissants qui peuvent te donner la patate. D’ailleurs, je pense que le deuxième album que je vais faire, ce sera un album qui s’écoutera à la salle! [Rires.]

 

Il faut bien réaliser que le temps est une valeur très précieuse

 

Ton rapport au temps est très présent dans tes sons, notamment dans ton titre « Against the Clock ». Tu peux nous en dire un peu plus ?

C’est un son qui parle de ma relation avec le temps, de mon sentiment d’être en permanence rattrapé par le temps. Avec des accidents de voiture comme ceux que j’ai eus, tu deviens parano, tu te dis que la mort veut te rattraper. Il faut bien réaliser que le temps est une valeur très précieuse, il faut savoir s’en servir. Après c’est toujours une notion assez abstraite, c’est un ressenti plus global, une conscience.

 

Et tu nous donnes la solution à l’énigme de ce clip s’il te plaît (cfr. cette vidéo de Hardisk) ?

Oh y a pas de réponse, vous allez voir, peut-être ce soir ou demain, y aura un truc.

 

Donc je dois sortir mon article aujourd’hui ?

Oui!

 

En plus de toute la partie musique, tu réalises tes clips et gères une bonne partie de tout ce qui est image, t’es pas fatigué parfois ?

Si mais justement, j’essaie de repousser mes limites! Tu sais ce que c’est un tardigrade? C’est un animal microscopique qui arrive à survivre dans toutes les conditions, que ce soit dans l’espace, dans un four à 5000°, dans de l’eau… C’est super inspirant je trouve, peu importe les conditions et ton environnement, il faut arriver à t’adapter. C’est la loi de la jungle, c’est la survie, et j’aimerais bien être un modèle de résilience.

 

Et si t’étais pas artiste tu serais quoi ?

Y a pas de plan B. Si tu te poses ce genre de question, ça peut planter des graines de peur. Il faut se conditionner à se dire qu’il n’y a pas d’autre choix. Y a que comme ça que ça peut arriver.

 

Tu as appris l’anglais par pudeur vis à vis de tes parents, tu leur dis de quoi tu parles maintenant ? 

Non, toujours pas! Ca ne les dérange pas de me laisser dans ma bulle, et je les laisse découvrir par eux-mêmes, y a pas de soucis à ce niveau-là.

 

Comment tu décrirais ton public Belge ?

Le dernier concert que j’ai fait en Belgique, c’était Les Ardentes en 2018, c’était un vrai truc! J’en garde un très très bon souvenir, c’était incroyable, les gens sautaient partout, y avait de la fumée partout, c’était vraiment cool. [Cfr notre article sur les Ardentes 2018.]

 

Comment ton public accueille Welcome to the Jungle ?

Super bien! Les gens sont impressionnés comme je le souhaitais. Après, comme il n’y a pas de featuring ou de clip à la sortie de l’album, ça reste assez niche encore. Je pense qu’il va falloir le démocratiser, ça reste toujours un album d’internet. Maintenant, on va se concentrer sur les visuels, les clips et toute la promo autour. Et le temps fera les choses comme elles devront être.

 

E a Verdade, seule chanson en partie en portugais de ton album, a l’air de déjà tirer son épingle du jeu. De quoi elle parle ?

Oui c’est vrai! C’est un track que j’ai fait sans me prendre la tête (entre guillemets) : j’avais cette boucle de guitare que j’ai ensuite étoffée avec pas mal de mélodies. J’avais toujours voulu faire un son en portugais brésilien en référence à la capoeira, c’est une musique qui m’a carrément bercé. Je l’ai écrite avec un ami d’enfance qui pratiquait la capoeira avec moi.

Dans le refrain, je fais un peu un bilan de mon entrée dans la jungle et je me dis « merde, peut-être que ce n’était pas le bon chemin à prendre ». C’est une chanson de doute, mais aussi sur la vérité envers soi-même. La vérité peut blesser parfois, mais ça donne de la force aussi.

E a Verdade c’est une petit comptine, c’est un peu triste, reminiscent. J’en suis très très fier, je savais que ce son-là allait être apprécié du public, mais il s’est direct démarqué. Il dénote avec tout ce qu’il y a sur l’album, c’est plus une balade, un truc sur lequel tu ne vas pas m’entendre très souvent.

 

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Est-ce qu’à un moment tu t’es dit : « ça y est, j’ai percé » ?

Non. Pour moi j’aurai percé quand vraiment j’aurai la reconnaissance dont je rêve dans ma tête. L’album fait un peu de bruit, mais c’est pas encore au point où les gens attendent l’ouverture de la Fnac pour se l’arracher! [Rires.] Après on voit toujours plus haut, mais je suis méga satisfait de comment ça se passe, de tous les retours etc.

Mais il y a encore beaucoup de taf, beaucoup de choses à prouver, notamment au niveau des clips. J’aimerais bien être un peu moins dans l’onirisme, c’était très bien pour cet album d’être un peu dans l’irréel, mais ce qui faisait ma force aussi à l’époque c’est que j’étais très terre à terre.

 

Le noyau dur pour la suite, ça va vraiment être de retrouver un peu cette énergie assez primaire que j’avais à l’époque de Brothers.

 

Le but de mes oeuvres, c’est que tout soit lié. Là je pense à la suite, je suis en survival mode, j’ai déjà la tête dans le deuxième album. Le noyau dur, ça va vraiment être de retrouver un peu cette énergie assez primaire que j’avais à l’époque de Brothers, où j’en avais rien à foutre. Je m’identifie beaucoup plus à ça. En fait, j’aimerais bien être le The Rock du rap game!

 

Tu repars en tournée en novembre, qu’est-ce qui aura changé depuis ta dernière tournée ?

Plus de danseurs! Et pour moi, plus de prépa physique pour vraiment lâcher le fauve. Je t’ai dit, je veux être le The Rock du rap game. Et le but c’est que dans un an si tu me vois, tu me reconnais pas. [Rires.]

 

Le Zénith de Paris, c’est génial, mais pas autant que pour le Palais 12 de Bruxelles, où tu seras le 20 novembre. 

En vrai, quand je parle aux gens du Palais 12 ils sont là « waw tu fais le Palais 12! C’est un gros truc! ». Ca va être très, très lourd.

 

Merci Rilès ! Qu’est-ce qu’on te souhaite pour la suite ?

De la force. Plein plein plein de force, physique et mentale.

L’album Welcome to the Jungle (Republic Records) de Rilès est disponible partout depuis le 30 août 2019. Il sera en tourné en France et en Belgique en novembre. Infos et tickets ici

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Charlotte Deprez Voir ses articles >

Foodie assumée, obsédée par les voyages, la photographie et la tech, toujours à l'affût de la dernière tendance Instagram qui va révolutionner le monde.

Tags: Musique, Rilès.