Entretien avec Angèle : « Être une chanteuse connue ne me protège pas du sexisme »
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Entretien avec Angèle : « Être une chanteuse connue ne me protège pas du sexisme »

Par Joëlle Lehrer
Temps de lecture: 7 min

Après le méga succès de Brol, Angèle livre Nonante-cinq, son deuxième album au titre très belge lui aussi. Une merveilleuse occasion d’échanger avec elle sur notre époque, ses chansons et les combats féministes encore à mener.

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En 1995, l’année de sa naissance, Céline Dion cartonnait avec Pour que tu m’aimes encore, Coolio avec Gangsta Paradise et U2 sortait Miss Sarajevo. Autant de titres qui, comme Angèle le remarque, sont devenus intemporels. La magie serait-elle de créer la chanson défiant le temps ? « Au moment où l’on crée, on ne peut pas savoir si la chanson sera intemporelle. Elle le devient par la suite. La création d’une chanson est toujours marquée dans le temps », assure-t-elle, de cette chambre d’hôtel parisien où elle a élu domicile pour quelques jours. Car, bien sûr, Angèle reste Bruxelloise.

Nonante-cinq est un album de cette époque-ci. Il reflète parfaitement les moments que l’on a vécus, avec la pandémie et le confinement…

Il est complètement à l’image de tout ce qu’on a vécu et de toutes les questions que l’on peut se poser. Évidemment, il passe par le regard de quelqu’un qui a 25 ans. Bientôt 26. Mais je pense que ces questions, on peut se les poser à tout âge. Et peut-être me les poserai-je encore dans quelques années…

 

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On trouve beaucoup de mélancolie dans ces nouveaux morceaux. Où la puisez-vous ?

Ce qui m’inspire, c’est ma vie, ce qui paraît un peu simple. Je ne cherche pas à écrire des chansons. Je ne me suis pas dit : « Je dois faire un deuxième album, qu’est-ce que je vais écrire ? » Lorsqu’il m’arrive des choses, positives ou négatives, j’ai toujours besoin de l’exprimer. Enfant, je tenais un journal intime. Et puis, j’ai appris le piano. J’ai compris, alors, que je pouvais faire les deux en même temps, écrire et composer. C’est ce que je fais encore aujourd’hui. La mélancolie, qui apparaît sur cet album, est très présente dans ma vie.

 

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Cependant, l’humour et l’autodérision, propres à vous ainsi qu’à votre famille, participaient à votre image dès le début, il y a quatre ans, de votre carrière.

En fait, je crois que cela va de pair avec la tristesse et la mélancolie. Lorsqu’on a de l’humour, c’est que l’on fuit quelque chose. L’humour est une arme géniale mais cela reste un moyen de se défendre du monde extérieur qui peut être violent, dur, triste. Et c’est la même chose pour la musique. Quand on choisit le métier de chanteuse, autrice-compositrice ou d’être sur le devant de la scène comme humoriste, cela ne veut pas forcément dire qu’on n’est que là-dedans. C’est mon métier, une façon de m’évader. C’est merveilleux parce que cela me plaît. J’aime produire des images positives et joyeuses mais cela ne signifie pas pour autant que dans la réalité, je le suis tout le temps à 100%. Je suis, en effet, plus attirée par ce qui est positif et joyeux mais j’ai un tas de démons en moi. Et ces démons nourrissent ma vie aussi.

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Des démons auxquels vous consacrez une chanson en duo avec Damso.

Damso est un artiste qui me suit depuis le début. Soit en 2017, avant même que La Loi de Murphy ne sorte. Il m’avait contactée suite à ma reprise de Bruxelles, ma belle, de Dick Annegarn que j’avais postée sur YouTube. De fil en aiguille, je me suis retrouvée à assurer ses premières parties. Mais à un moment où je n’étais pas prête. Et j’ai été obligée d’être préparée parce que les premières parties de concerts, c’est difficile et ingrat. Je devais, tout à coup, me prouver plein de choses et notamment que j’étais capable de faire le job même si ma musique est très différente de celle de Damso. Puis, nous sommes devenus amis et il m’a appelée pour chanter avec lui sur Silence. Et quand je me trouvais aux studios ICP, pour enregistrer cet album-ci, il m’apparaissait évident qu’il devait chanter ce morceau avec moi.

N’est-ce pas une association étrange entre lui qui n’est pas très aimé des féministes et vous qui assumez votre féminisme ?

Ce n’est pas vraiment une généralité de dire que Damso n’est pas très aimé des féministes. Et ce qui me paraît intéressant depuis toujours, c’est que nous sommes issus de milieux familiaux et artistiques très différents. Je me posais déjà des questions sur le féminisme en 2017 et je trouvais qu’il n’y avait pas de positionnement plus fort que d’assurer ses premières parties afin justement d’apporter un message féministe dans un lieu qui, a priori, ne l’était pas. J’ai découvert, dans son équipe, à quel point ils étaient encourageants et protecteurs. J’ai trouvé que Damso avait tout d’un gentleman. Dans Balance ton quoi, je dis que les rappeurs parlent mal des femmes. Cela ne l’a pas empêché de rester ami avec moi. On ne peut pas blâmer un style musical. Je pense que le sexisme est omniprésent dans la société.

Êtes-vous confrontée au sexisme dans votre métier ?

Je réalise constamment que je suis confrontée à une forme de sexisme. Tant que le patriarcat sera aussi présent dans la société, le sexisme le sera d’autant plus. Quand on est une femme, on doit redoubler d’effort et de prudence tant dans la vie privée que dans la rue. Récemment, on a vu cette vague de témoignages de jeunes femmes qui avaient été victimes d’abus sexuels dans des bars ixellois. On parle d’Ixelles mais c’est dans toute la Belgique et dans le monde. Quand on est une femme, on est confrontée à certains risques et le fait d’être une chanteuse connue ne me protège pas de ça. Par contre, il y a un changement dans la manière dont je perçois les choses et dans les choix que je fais. Ainsi, je me suis questionnée sur les shootings mode et beauté que j’adore faire mais si j’étais un homme me ferait-on ce genre de propositions ? Je ne le pense pas. Et dois-je encore en faire ou pas ? Je n’ai pas la réponse. Cependant, déjà se poser la question est important. La question du sexisme est cruciale. Que les femmes puissent reprendre du pouvoir est essentiel. Et que l’on arrive petit à petit à une égalité.

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Il y a eu tout de même beaucoup d’acquis grâce aux mouvements féministes depuis leur naissance au début du XXe siècle.

Mais heureusement qu’on ne s’arrête pas là parce qu’alors, pour tout, on dirait : « Mais regardez d’où on vient! » Ma génération n’a pas vécu tous ces combats-là. Ce que nous voyons, c’est la réalité. Et heureusement que les femmes ont le droit de vote et que la pilule est relativement accessible. Mais le féminisme peut aller plus loin que ça. Il peut réfléchir à toute une forme d’inclusion et à une série d’injonctions. Et puis, à tout ce qui a trait à la culture du viol. Mais moi, j’ai espoir. Suite à Balance ton quoi, de nombreuses mères de famille mais également de pères m’ont remerciée. Et des jeunes gens qui avaient conscience de ça sont venus aussi me dire qu’ils avaient été touchés par le message de cette chanson.

Justement, les violences faites aux femmes, il en est question dans Tempête qui figure sur ce disque.

Lors du premier confinement, les chiffres des violences conjugales ont explosé. Ce dont on ne voulait pas ou peu parler – car, disait-on, cela relevait de la sphère privée – est devenu une info capitale éclairée parmi les effets du confinement, c’est intéressant. La responsabilité des violences est souvent mise sur le dos des femmes. On leur demande : « Pourquoi tu restes ? Tu sais qu’il est violent. » On ne réfléchit pas aux processus de manipulation, d’emprise et de danger qu’il y a derrière ça et qui peuvent expliquer qu’une femme reste. Ce sujet me touche et est, malheureusement, encore très actuel.

 

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Certaines de vos nouvelles chansons parlent de votre vie sentimentale. Avec ces années de pandémie, de confinement, de gestes barrières, comment fait-on pour encore se rencontrer et s’aimer ?

Je pense qu’on manque encore un peu de recul par rapport à cette période. Et en est-on entièrement sortis ? Je crois qu’on se réinvente et que l’humain a la capacité de s’adapter à d’innombrables situations. Les plus jeunes générations se sont vite faites à la communication via les réseaux sociaux. Il y a plein d’inconvénients et de choses négatives à ça mais aussi beaucoup de belles choses qui en découlent. Les femmes et les hommes sont faits pour aimer. Donc, oui, c’est encore possible. Évidemment, c’est différent d’avant. Mais tout change très vite et très fort au point que je ne sais pas si cela perturbe les jeunes ou s’ils se sont habitués à ces nouveaux modes-là. Ce dont je parle dans Solo, c’est plus du couple. Il y a mille façons d’aimer mais il semblerait que l’on n’admette qu’un seul exemple de couple. Comment peut-on percevoir l’amour ? Cela se résume-t-il à être en couple ? En couple hétéro, en couple exclusif ou cela peut-il s’ouvrir à des formes d’amitié ? Je pense qu’il y a autant de couples que d’histoires d’amour et que l’on peut réinventer l’amour. Il y a aussi de l’ironie dans cette chanson car, j’y déclare que « plus jamais, je ne tomberai amoureuse ». Et bien sûr, j’espère que non. Parce que c’est génial de tomber amoureux.

Pour tomber amoureux, il ne faut pas avoir peur?

Oui, c’est vulnérabilisant de tomber amoureux. Je n’ai plus envie de ça mais j’espère que ce n’est pas vrai. (Rires.)

Nonante-cinq, Universal Music. En concert le 16 mai et du 19 au 22 décembre à Forest National à Bruxelles, en juillet au Festival de Dour, le 10 décembre 2022 au Sportpaleis à Anvers. La Story d’Angèle, documentaire réalisé par Brice VDH, disponible sur Netflix.

 

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Malvine Sevrin Voir ses articles >

Des podiums parisiens aux dernières nouveautés skincare qui enflamment TikTok, je décrypte les tendances pour Marie Claire Belgique. Passionnée de voyage, de mode et de beauté, je partage mes coups de coeur dénichés aux quatre coins du globe. En tant que rédactrice en chef digital, j'ai également à coeur de mettre en lumière les histoires inspirantes de femmes à travers notre site et sur nos réseaux sociaux.

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