Les 99 problèmes de l’adaptation série de « La Vérité sur l’Affaire Harry Québert »
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Les 99 problèmes de l’adaptation série de « La Vérité sur l’Affaire Harry Québert »

Par Morgane Giuliani
Temps de lecture: 9 min

Romance intergénérationnelle malsaine, personnages féminins superficiels, mise en scène kitsch : une fois sur le petit-écran, La Vérité sur l'Affaire Harry Québert, best-seller international de Joël Dicker, révèle toutes ses faces sombres. La série de 10 épisodes débute mercredi 21 novembre sur TF1.

Rassurez-vous : ce papier ne comportera pas 99 sous-parties. On voulait juste placer une référence au tube de Jay-Z, et montrer notre désarroi assez profond face aux quatre premiers épisodes que nous avons pu visionner en avant-première de La Vérité sur l’Affaire Harry Québert. Il s’agit de la mini-série adaptée du best-seller éponyme de Joël Dicker, diffusée à partir du mercredi 21 septembre sur TF1, avec Patrick Dempsey dans l’un des rôles principaux. Quatre épisodes sur dix, c’est presque la moitié, mais la déception est telle, et la vie, si courte, pour s’en infliger plus.

 

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Adapter un polar de 670 pages – vendu à près de trois millions d’exemplaires dans le monde depuis sa publication en 2012 – aurait pu être une opportunité formidable pour continuer à réinventer ce genre chouchou de la télévision. D’autant qu’il a connu de merveilleuses mutations ces dix dernières années à travers True Detective, The Fall, Broadchurch, The Killing, Top of the Lake, ou plus récemment, Sharp Objects, pour ne citer qu’elles, aux protagonistes ambivalents, personnages féminins forts, et prises de risque visuelles sublimes.

Mais non.

La Vérité sur l’Affaire Harry Québert s’emmêle les pieds – avec une obstination déroutante – dans des ficelles épuisées depuis longtemps : une intrigue malaisante – qui plus est, à peine remise en question – des personnages féminins potiches, un enchevêtrement de poncifs qui empêche toute émotion, une mise en scène ennuyeuse. Si on avait dévoré le livre à sa sortie en 2012, huit ans plus tard, son propos saute au visage comme suranné. Son adaptation fidèle le dessert car elle révèle à quel point son intrigue est problématique. Le mouvement #MeToo est passé par là, et oui, depuis, plus rien ne devrait être comme avant.

 

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So sick of this same old love

Pour résumer l’histoire en quelques phrases : Harry Québert est un écrivain célèbre, enfin, pas encore très célèbre quand il emménage à Aurora, petite ville (imaginaire) côtière du New-Hampshire. Il a choisi cet endroit pittoresque parce que, vous comprenez, New York c’est vraiment trop guindé et étouffant pour lui, grand humble qu’il est. Il y « tombe amoureux » (vous les voyez nos gros guillemets ?) de Nola Kellergan, adolescente de 15 ans qui aime batifoler sous la pluie parce que ça la fait se sentir vivante (on y reviendra plus tard).

Harry et Nola discutent. De littérature, de cinéma. Nola sort des grandes phrases toutes faites sur le sens de la vie, l’Art avec un grand « A ». Et Harry tombe « amoureux ». Voilà.

 

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Mais Harry Québert n’ose rien faire, du moins au début. Parce que c’est « mal » et que « la société n’est pas prête » à accepter leur amour, à cause de ses conventions à la con. Quel visionnaire. Il résiste, Harry, les larmes aux yeux, alors que Nola est à sa porte avec un bouquet de fleurs sauvages pour s’excuser de l’avoir giflé, après l’avoir vu au cinéma avec une autre fille de la ville (auprès de laquelle il tente de l’oublier, d’ailleurs).

Sacré Harry.

Alors que les deux tourtereaux maudits sont censés s’enfuir en plein été 1975, Nola est portée disparue. En 2008, son corps est retrouvé dans la propriété d’Harry Québert, depuis vraiment devenu célèbre avec le roman Les Origines du Mal. Il est inculpé et son petit protégé, Marcus Goldman, lui aussi auteur à succès, mène l’enquête pour prouver son innocence.

En effet, Harry Québert n’a pas tué Nola Kellergan, contrairement à ce que la police et ces salauds de médias pensent. Ce n’est pas pour autant que c’est quelqu’un de bien.

Car le problème avec La Vérité Sur L’affaire Harry Québert, est qu’on veut nous faire croire que l’écrivain ressent un « amour » véritable envers l’adolescente ; mais aussi, que cet « amour » est utilisé comme argument en or massif pour défendre son honneur, et le mettre sur un piédestal. Est-ce un crime de tomber amoureux de quelqu’un dont on n’est pas censé l’être ? Eh bien, ça l’est si la loi l’interdit. Simple, non ?

 

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Le bon et le mauvais pervers

Mais Harry Québert est un homme « bien », vous comprenez. Cultivé, aimable, poli, discret, toujours souriant, il pourrait charmer un poteau. D’ailleurs, la gérante du diner de la ville se démène pour que sa fille le séduise. C’est un « bon parti », Harry Québert. Et qui de mieux que Patrick Dempsey pour l’incarner ?

Il est encore, pour beaucoup, le Dr. Mamour qui a laissé inconsolables des millions de fans de Grey’s Anatomy, depuis sa disparition de la série en 2015. L’Américain de 52 ans, qui est aussi à la production de l’Affaire Harry Québert, a tout du gendre idéal avec son regard bleu rassurant, ses fossettes, ses cheveux poivre-sel qui lui ajoutent de la stature, son sourire en coin. Il n’a pas « l’air d’un pervers » comme on les imagine, lunettes quadruple foyer et petite moustache éparse façon Ed Kemper. Il n’a pas l’air menaçant, puisqu’il fuit Nola – du moins, au début.

Nous sommes prisonniers des faux-semblants et de l’hypocrisie de la société

L’adolescente devient sa croix, son examen de conscience perpétuel qui semble d’abord sincère, avant de basculer dans la critique de c’est-la-société-qui-est-fermée-d-esprit. « Je savais qu’elle avait 15 ans et je savais que c’était mal. Mais je l’aimais. Quand on est amoureux de quelqu’un, on ne pense pas à son âge. » Dans leur correspondance « interdite », Harry écrit à Nola : « Nous sommes prisonniers des faux-semblants et de l’hypocrisie de la société, de règles établies par des hommes pour les protéger de ce qu’ils ne peuvent pas comprendre. » Et puis, après tout, c’est elle qui lui fait du rentre-dedans, lui demande de l’appeler « Ma Nola chérie » !

 

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Québert, censé être si sage, devrait pourtant savoir que toute la maturité de Nola ne peut pallier son jeune âge et son manque d’expérience amoureuse. Comment peut-on voir un amour véritable, légitime, sain, et du consentement, face à la candeur toute infantile de l’adolescente ? D’autant que Kristine Frøseth, l’interprète de Nola, est âgée de 22 ans mais a l’air vraiment (vraiment) jeune, avec une allure gracile qui n’a rien d’adulte. Face au charismatique et grisonnant Patrick Dempsey, pas d’alchimie possible. Le décalage est trop grand. Il en est même absurde.

Nola, la Manic Pixie Dream (Little) Girl

Nola. Celle qui demande : « Comment peut-on détester la pluie ? Le secret c’est de faire corps avec elle ! », alors qu’elle danse sous le déluge, devant un Québert subjugué. Celle qui ne semble porter aucune once de sensualité en elle, sauf quand elle chante Can’t Help Falling In Love With You d’Elvis Presley – comme par hasard – en regardant Québert bien profondément dans les yeux (alors qu’il est assis dans une salle obscure, mais bon). Celle qui rigole-tout-le-temps. Celle qui parle en phrases toutes faites, alors que Québert n’a pas grand chose à dire.

 

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« Il y avait quelque chose de magique en elle, quelque chose que je n’avais encore jamais vu », raconte Québert à Marcus. « À chaque fois qu’elle s’éloignait, j’éprouvais une sensation de vide, comme de solitude. […] Elle était tellement curieuse à propos de la vie. On parlait de livres, de musique. Elle était pleine de vie. »

Parce que, vous comprenez, une jeune fille brillante qui l’admire et en sait des choses, mais qui n’est pas apprêtée, ne se maquille pas, ne dort pas avec des bigoudis, on n’en croise pas tous les quatre matins. Lui qui était fatigué des femmes artificielles de la « grande ville », le voilà qui rencontre une adolescente simple, cultivée. Ah, on vous a dit qu’elle était pleine de vie ?

Comment résister quand on vit une si grande solitude ?

Si leur « histoire d’amour » est gênante et datée, c’est aussi parce que Nola est incroyablement vivante, là où l’écrivain est éteint. Elle ne sert qu’à (r)allumer cette flamme intérieure qu’il croyait perdue. Un arc narratif rabâché jusqu’à l’écoeurement par la pop culture, beaucoup remis en cause depuis quelques années quand il a atteint son paroxysme avec plusieurs comédies/drames romantiques. Nola est ce que l’on nomme une Manic Pixie Dream Girl, comme Natalie Portman dans Garden State ou Zooey Deschanel dans (500) Jours Avec Summer, jusqu’à ce qu’elle quitte son boyfriend-fan-des-Smith aussi étouffant qu’un col roulé trop serré.

 

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« Nola n’était pas forcément aussi innocente que l’on croit », éructe Marcus Goldman lorsqu’il découvre que la jeune femme « fréquentait », aussi, l’homme le plus riche de l’État. Trop content d’avoir trouvé une faille dans la machine Nola, l’idée de Marcus est de prouver que si la jeune femme avait une vie sexuelle, alors elle n’était pas pure. Conclusion : son ami, Québert, n’est pas un pervers. Une jolie manière de nous rappeler que les jeunes femmes ont moins « le droit » au respect à mesure qu’elles découvrent leur sexualité (sic), et que le fait qu’elle ait une vie sexuelle dédouane les hommes qui se comportent mal avec elles. L’honneur d’un homme vaut mieux que celui d’une petite traînée.

Variations toxiques sur la masculinité

Il est agaçant d’ailleurs, ce Marcus Goldman. Sûr de lui, il est pourtant incapable de pondre un deuxième roman (on ne dit pas que c’est facile, hein). Il est persuadé que sa secrétaire « en pince pour lui », est impétueux envers la majorité des personnes à qui il s’adresse. L’inspiration, il la trouve finalement dans le malheur de son mentor, qui lui a bien appris une chose : « Faut écrire sur ce qui fait peur !!! » Quelle belle leçon de vie.

Tiens, (re)parlons-en, de Québert. De son « histoire d’amour » avortée avec Nola, il a tiré un livre, Les Origines du Mal, dans lequel il a notamment recopié, mot pour mot, des correspondances qu’ils ont échangées. S’il dit avoir « attendu » la jeune femme toute sa vie, il est étonnant qu’il n’ait eu aucun scrupule à rendre publiques les déclarations les plus intimes qu’elle ait pu lui offrir. Visiblement, ce n’est pas la décence qui l’étouffe.

 

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Cette masculinité toxique, qui suinte par tous les pores de la série, s’accompagne de son pendant inévitable : une ribambelle de personnages féminins potiches. Lorsque l’avocat de Québert – le seul un peu drôle car il balance « putain » ou « fait chier » toutes les deux phrases – s’offre une manucure, c’est par une jeune femme au décolleté plongeant, serré par des lacets, et à laquelle il parle de manière doucereuse. À un autre moment, un ancien flic somme à son épouse d’aller s’occuper de ses plantes pour qu’elle quitte la conversation. Alors oui, la mère de Nola est horrible, mais il ne suffit pas d’un personnage féminin « méchant », d’ailleurs de la manière la plus caricaturale qui soit, pour faire oublier tous les autres.

Une mise en scène kitsch

Si le fond de La Vérité sur l’Affaire Harry Québert est désolant, même la mise en scène, et la réalisation – pourtant assurée par le Français oscarisé Jean-Jacques Annaud (L’Amant, Le Nom de la Rose) – ne rééquilibrent pas un peu la balance. On aurait dû s’en douter dès le générique, pâle pastiche de celui de la saison 1 de True Detective, où les images se fondent dans des tâches d’encre.

La série se déroule entre 1975 et 2008, mais on dirait, justement, qu’elle a été réalisée en 2008, si on omet le recours occasionnel au drone. Les plans filmés de travers, de biais, les couleurs trop fortes, les tenues « d’époque » trop caricaturales, façon Cold Case, le parloir de prison trop fake, le filtre « REC » avec le petit bouton rouge qui clignote quand Marcus utilise son téléphone : autant d’éléments kitsch qui brûlent la rétine.

 

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Même quand on est censé assister à l’horreur – Nola se faisant battre par sa mère – on voit juste les jambes de l’adolescente traînée par terre, une petite assiette coincée sous le pied (?), alors qu’elle est tirée en arrière par la marâtre, qui n’apparaît pas à l’écran. Parfois, suggérer fait plus peur que montrer. Mais c’est tout l’inverse qui se produit lorsqu’une règle fend l’air de nulle part, sans même avoir de main au bout.

L’histoire prend place dans l’État du New Hampshire, où l’océan est bordé d’immenses forêts. On ne ressent pas la beauté des ces paysages, même si une bonne partie de l’action est filmée en décors naturels. Dommage, ils auraient pu permettre d’ajouter de la hauteur et de la profondeur à une intrigue qui n’en a pas. Pour la citer encore, Top of the Lake avait réussi à faire des superbes paysages néo-zélandais un personnage à part entière, donnant une vraie aura de mystère.

Bref, si vous espérez voir une grande histoire d’amour, passez votre chemin. Si vous souhaitez voir un polar, attendez que l’intrigue s’étoffe, comme au sein du livre, au bout de plusieurs épisodes. Mais on vous aura prévenus.

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Foodie assumée, obsédée par les voyages, la photographie et la tech, toujours à l'affût de la dernière tendance Instagram qui va révolutionner le monde.

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