Grossophobie: ce que « la grosse » assise sur la plage voudrait que vous sachiez
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Grossophobie: ce que « la grosse » assise sur la plage voudrait que vous sachiez

Par Elodie Bousquet
Temps de lecture: 6 min

Dans leur ouvrage "'Gros' n’est pas un gros mot", Daria Marx et Eva Perre-Bello dressent la chronique d’une discrimination ordinaire dont nous sommes tous plus ou moins coupables: la grossophobie. Morceaux choisis à méditer avant d’aller se prélasser sur le sable.

Elles n’ont pas et n’ont parfois jamais eu le #bikinibody, ce corps fantasmé pur produit des diktats de la mode et de la beauté sans cesse mis en avant dans notre société. Elles sont en surpoids, parfois carrément obèses, grosses en somme. Partout, elles sont l’objet de préjugés et moqueries, bref, de grossophobie. Constamment toisées, régulièrement rejetées, elles doivent se justifier d’être et de paraître quasiment tout au long de leur vie.

 

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Cet été sur la plage, dans les transports en commun, au restaurant, vous croiserez forcément ces personnes, femmes et hommes aux profils « hors normes ». Et pour cause : depuis 1975, le nombre de personnes obèses a quasiment triplé dans le monde. En France, 15,3% de la population est concernée et la courbe ne cesse de grimper : en 2030 cette proportion pourrait atteindre 21% d’après l’OCDE1.

Comment réagirez-vous ? Sans doute comme la majorité d’entre nous, que nous l’avouions ou non : vous les jugerez.

C’est précisément pour participer à la déconstruction des clichés qui leur collent au tissu adipeux que Daria Marx et Eva Pere-Bello, membres du collectif Gras Politique et militantes féministes, ont rédigé « Gros » n’est pas un gros mot*, un court ouvrage pédagogique à mettre entre toutes les mains et qui, on l’espère avec leurs auteures, participera au changement des mentalités et à la conscientisation de cette grossophobie galopante.

 

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« Les gros sont gros parce qu’ils mangent trop. »

Saviez-vous que les régions les plus pauvres de France correspondent majoritairement aux régions dans lesquelles on dénombre le plus d’obèses ? « L’étude Esteban menée par Santé Publique France tend à montrer que les populations les plus instruites sont mois touchées par les problèmes de poids. En effet, 60,8% des hommes dont le niveau d’études est inférieur au baccalauréat sont en surpoids, contre 42% de ceux qui ont un niveau bac+3. Un constat qui se retrouve également chez les enfants de maternelle », apprend-t-on au cours de notre lecture. Et les auteures de souligner une implacable réalité : « Les plats préparés et les ingrédients transformés proposés par les magasins de hard discount sont des aides précieuses pour les cuisiniers pressés et fauchés ».

Souvent occulté, le facteur génétique a lui aussi sa part de responsabilité dans la pandémie actuellement à l’œuvre. « Le risque est environ 2 à 8 fois plus élevé chez un individu présentant des antécédents familiaux comparativement à un individu sans histoire familiale d’obésité. »

 

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Autres leviers de la prise de poids : certaines pathologies ou traitements médicamenteux. Parmi les plus connues, le dérèglement hormonal et la dépression figurent en bonne place mais les troubles du comportement alimentaire (TCA), reconnus comme des maladies mentales, ne sont pas à négliger. Boulimie, hyperphagie, Binge Eating Disorder… Une étude du CHU de Poitiers a notamment mis en avant que 80% des patients candidats à la chirurgie bariatrique, et donc obèses par définition, souffrent de ces derniers.

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« Les gros n’ont aucune volonté, un bon régime et c’est réglé ! »

En voilà une idée ! « Je vous mets au défi de trouver un gros qui n’ait jamais essayé de ne plus l’être. Au premier rang des solutions au surpoids, les sacro-saints régimes (…) Manque de chance : la restriction est le meilleur moyen de grossir », rappellent Daria Marx et Eva Pere-Bello. De nombreuses études internationales illustrent depuis des années le phénomène : le taux d’échec à long terme des régimes restrictifs varie entre 80 et 95%.

 

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Or, « pour envisager une perte de poids durable, il est intéressant de se souvenir du premier sens du mot régime : ce qui englobe toute l’alimentation, dans sa diversité (…) C’est en s’intéressant à la globalité de la situation d’une personne en surpoids qu’on peut la conseiller sur sa manière de s’alimenter. C’est aussi en prenant en compte la réalité économique de l’accès à la nourriture saine, du temps alloué à la préparation des aliments, et de la possibilité de choix, qu’on peut espérer comprendre le problème de l’obésité dans sa globalité. »

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« Pour les cas désespérés la chirurgie fait des miracles… »

Anneau gastrique, ballon intra-gastrique, Sleeve, By-pass… « La chirurgie bariatrique représente en France 45 000 interventions par an, avec une liste d’attente de 450 000 patients fin 2017. 85% des opérés sont des femmes et l’âge moyen des patients est de 38 ans. »

Sur le papier, les résultats sont séduisants : une perte de poids aussi rapide qu’importante dans les quelques mois suivant l’opération. Dans la réalité, les suites post-opératoires sont souvent douloureuses et des complications diverses et variées s’invitent parfois au programme (fistules, ulcères, sténoses, hémorragies, carences, hernie, reflux et même nécrose, occlusion et péritonite…). Sans compter le changement de quotidien radical qu’impliquent de tels actes : se nourrir n’aura plus jamais rien à voir avec le simple fait d’avaler trois repas par jour.

 

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À savoir également, de plus en plus de chirurgies de l’obésité, autrefois réservées aux cas d’obésité morbide, sont en échec. Menée sur 4000 patients, l’étude « Swedish Obese Subjects » (SOS) « a notamment rapporté en moyenne une reprise de 30% du poids perdu, entre deux et six ans après une chirurgie ». Conséquence ? La fin d’un ultime espoir se muant en traumatisme pouvant mener au suicide, alerte pour la première fois en 2007 une équipe de l’Université d’Utah. À l’époque, cette dernière a clairement démontré un taux de mortalité par suicide plus élevé « chez les patients ayant reçu une chirurgie de l’obésité, par rapport à des obèses non opérés ».

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« Les gros ne prennent pas soin d’eux. D’ailleurs, ils sentent souvent mauvais. »

« Il semble que le volume des corps condamne les obèses à puer, pour une raison… qui échappe à la raison. Le déodorant, le savon, toutes ces inventions de l’hygiène moderne sont accessibles aux corps de toutes les tailles, et personne ne s’en prive, adipeux ou maigrichons. Ainsi, un corps soumis à un exercice physique intense ou à une température élevée peut transpirer abondamment, quelle que soit sa corpulence. L’idée que les bourrelets dégagent une odeur, ou que les plis de la peau puissent pourrir est un fantasme de grossophobie total. » CQFD.

 

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« Les gros (et surtout les grosses) n’ont pas de vie sexuelle. »

Parce qu’être une femme obèse c’est un peu la double peine, une étude sociologique de Nathalie Bajos menée en 2010 a démontré que « les femmes obèses âgées de moins de 30 ans ont quatre fois plus de risques de débuter une grossesse non désirée ou d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) par rapport aux femmes ayant un IMC normal. Elles sont aussi moins susceptibles de recourir aux soins de santé pour la contraception. Elles utilisent moins les contraceptions orales hormonales et huit fois plus de méthodes contraceptives moins efficaces, telles que le retrait, que les femmes ayant un IMC normal. »

Balayée donc l’idée reçue selon laquelle les personnes obèses seraient forcément abstinentes. Quant à savoir pourquoi ces dernières ont moins recours à la contraception que les autres -la vraie question en somme- la réponse est simple : parce qu’il leur est difficile de trouver un médecin qui cherche avec elles la bonne méthode contraceptive. La pilule ne pouvant pas être prescrite dans le cas de certaines maladies associées à l’obésité (et non à cause de l’obésité même), c’est un chemin de croix que mènent celles qui souhaitent contrôler leur fertilité. À cela s’ajoute souvent du matériel médical inadapté qui favorise les remarques et situations humiliantes en cabinet comme à l’hôpital. Encore trop souvent victimes faciles de maltraitances gynécologiques et médicales, les femmes en surpoids ont « 65% plus de risques de vivre avec une maladie non diagnostiquée » d’après une étude du M.A. Connecticut College publiée en 2016.

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« Gros » n’est pas un gros mot, (ed. Librio), 120p, 5 euros. 

1https://www.cerin.org/rapports/lobesite-dans-le-monde-ocde-2017

Source: marieclaire.be

Charlotte Deprez Voir ses articles >

Foodie assumée, obsédée par les voyages, la photographie et la tech, toujours à l'affût de la dernière tendance Instagram qui va révolutionner le monde.

Tags: Maillot, Minceur, Santé.