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« C’est la honte », s’est indignée Adèle Haenel en quittant la salle Pleyel vendredi 28 février, lorsque Roman Polanski a été désigné Meilleur réalisateur, aux César 2020, alors qu’il est accusé de viol par douze femmes.
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Adèle Haenel avait été suivie par la réalisatrice Céline Sciamma, l’actrice Noémie Merlant avec qui elle partage l’affiche de Portrait de la jeune fille en feu, et quelques autres personnes, dont l’actrice Aïssa Maïga ou l’auteure Leïla Slimani.
Durant le weekend, l’indignation générale ne s’est pourtant que peu faite sentir, parmi le 7e art et les politiques français. Face à ce silence, la romancière Virginie Despentes prend la parole et éclate la bulle de l’indifférence avec force, dans une virulente tribune publiée dans « Libération » dimanche 1er mars. Elle y dénonce « le pouvoir absolu des puissants ».
« Vous exigez qu’on vous admire jusque dans votre délinquance »
« Tous les corps assis ce soir-là dans la salle sont convoqués dans un seul but : vérifier le pouvoir absolu des puissants », écrit Virginie Despentes avec colère, en évoquant la 45ème cérémonie des César. « Et les puissants aiment les violeurs. Enfin, ceux qui leur ressemblent, ceux qui sont puissants (…) Vous savez très bien ce que vous faites quand vous défendez Polanski : vous exigez qu’on vous admire jusque dans votre délinquance ».
Vous savez très bien ce que vous faites quand vous défendez Polanski : vous exigez qu’on vous admire jusque dans votre délinquance
Et la délinquance de Roman Polanski, tout le monde la connait, mais un grand nombre décident encore de l’ignorer. Après avoir été inculpé pour des rapports sexuels illégaux avec Samantha Geimer, en 1977, alors qu’elle était âgée de 13 ans, le réalisateur de 86 ans avait fui les États-Unis pour éviter la prison.
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Désormais, le réalisateur franco-polonais est accusé de viol par douze femmes. Un nombre faisant honteusement écho aux 12 nominations écopés aux César pour son film J’accuse, véhiculant ainsi un message d’impunité pour les puissants.
Un privilège de classe
Pour Virginie Despentes, cette impunité, entretenue par un large soutien du milieu du cinéma, est significative d’un privilège de classe : « Si le violeur d’enfant c’était l’homme de ménage alors là pas de quartier : police, prison, déclarations tonitruantes, défense de la victime et condamnation générale. Mais si le violeur est un puissant: respect et solidarité », s’insurge l’auteure de Vernon Subutex. « C’est toujours la loi du silence qui prévaut ».
Mais si le violeur est un puissant : respect et solidarité.
« Les réalisatrices qui décernent le prix de votre impunité, les réalisateurs dont le prix est taché par votre ignominie – même combat. Les uns les autres savent qu’en tant qu’employés de l’industrie du cinéma, s’ils veulent bosser demain, ils doivent se taire. Même pas une blague, même pas une vanne ».
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« Quand ça ne va pas, quand ça va trop loin ; on se lève on se casse et on gueule »
Parmi le spectacle d’impunité qu’a été la soirée des César, il y avait le courage d’Adèle Haenel, fervente militante contre les violentes faites aux femmes, qui s’est levée et a quitté la salle.
Virginie Despentes revient sur ce moment qui a marqué la 45e cérémonie des César : « Adèle se lève et elle se casse. Ce soir du 28 février on n’a pas appris grand-chose qu’on ignorait sur la belle industrie du cinéma français par contre on a appris comment ça se porte, la robe de soirée. À la guerrière », défend l’auteure de Vernon Subutex.
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« Vous n’aurez pas notre respect. On se casse. Faites vos conneries entre vous. Célébrez-vous, humiliez-vous les uns les autres, tuez, violez, exploitez, défoncez tout ce qui vous passe sous la main. On se lève et on se casse ».
Vous n’aurez pas notre respect. On se casse.
« C’est la seule réponse possible à vos politiques », conclut la romancière. « C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde ».
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D’autres personnalités prennent la parole
Depuis la cérémonie, d’autres personnalités ont exprimé leur indignation, à l’instar de Virginie Despentes et Adèle Haenel. C’est le cas notamment de l’actrice Sara Forestier, nommée dans la catégorie Meilleure actrice dans un second rôle pour Roubaix, une lumière.
Bien que la comédienne n’a pas quitté la salle à l’annonce de la victoire de Roman Polanski, elle confie à l’antenne de France Inter : « On aurait dû partir, quitter la salle par rangée (…) Toutes les jeunes filles que je vois ont eu ce genre d’histoires… J’ai vécu moi-même ce genre d’histoires. J’ai compris que le silence empêche le bon fonctionnement de la justice, et pas la libération de la parole ».
J’ai compris que le silence empêche le bon fonctionnement de la justice.
Pour la chanteuse Camélia Jordana, qui a réagi sur son compte Instagram samedi 29 février, « c’est parce que la parole se dénoue et parce que nous parlons, osons, crions, chantons et racontons que nous avançons. C’est parce que nous avançons que ces hommes frappent plus fort ». De son côté, Alexandra Lamy a également apporté “tout son soutien” à Adèle Haenel.
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« J’avais dit avant même la remise de ce César dans la journée que ça serait un mauvais signal envoyé à la population, aux femmes, à toutes celles qui se battent contre les agressions sexuelles et sexistes, qu’il y ait la remise de la meilleure réalisation à Roman Polanski », a quant à lui déclaré le ministre de la Culture Franck Riester sur Europe 1. Maîtresse de cérémonie, Florence Foresti, qui n’a pas esquivé le sujet durant la soirée, s’est dite « écoeurée » sur son compte Instagram, et aurait refusé de remonter sur scène après la victoire de Roman Polanski.
L’actrice Aïssa Maïga, qui a remis le César du meilleur espoir féminin à Lyna Khoudri pour Papicha, explique avoir été « un peu clouée sur place » à l’annonce de la victoire de Polanski. « Et puis une minute après, je n’étais pas bien, je suis partie… J’ai été terrassée, effrayée, dégoûtée, à titre vraiment personnel, dans mes tripes. J’ai vu la réaction d’Adèle Haenel, très forte, et honnêtement, j’ai pensé à toutes ces femmes ».
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