Les afterworks peuvent-ils nous rendre alcooliques ?
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Les afterworks peuvent-ils nous rendre alcooliques ?

Par Emmanuelle Ringot
Temps de lecture: 4 min

Sous prétexte de lien social et de décontraction, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à organiser des afterworks. Une incitation pour les salariés à consommer régulièrement de l'alcool ?

“Lors de mon premier stage en agence de communication, les bières arrivaient directement sur nos bureaux à partir de 19 heures”, se rappelle Jeanne*, 29 ans, chef de projet à Paris. “Tous les jeudis, on faisait également un pot pour resserrer les liens entre les équipes”, poursuit-elle.

 

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Les traditionnels « pots au bureau » se délocalisent. Comme Jeanne, 42% des salariés font régulièrement des afterworks en France, selon un sondage publié en septembre 2017**. Et d’après ce sondage, ce sont généralement les jeunes qui trinquent, qui plus est quand ils travaillent dans la communication : 62% des aficionados des afterworks ont moins de 30 ans et 53% occupent des postes dans le « marketing, la vente ou la communication ».

“Sur la question de l’impact sur la consommation d’alcool des salariés, la réponse est difficile”, répond le Dr Catherine Simon, psychiatre et addictologue à Brest et Vice-Présidente de l’ANPAA***. “Nous avons des informations chiffrées mais surtout sur certaines catégories (hommes peu diplômés, femmes cadres, etc)”, précise-t-elle. Avant d’ajouter, “on note aussi selon le BEH n°7-8/2016****, une augmentation des alcoolisations ponctuelles, importantes chez les jeunes adultes, susceptibles de participer à ces afterworks.”

 

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Sans alcool, la fête est moins folle ?

Cette tendance, héritée des pays anglosaxons, a fait son apparition en France au début des années 2000. Sous prétexte de renforcer les liens dans les équipes, certaines entreprises organisent donc des “pots” dans lesquels leurs salariés se retrouvent pour discuter d’autre chose que de travail. “En agence, le rythme est tellement violent que boire un coup après sa journée de travail, ça permet de compenser, d’apporter un mode récréatif et de nous souder”, témoigne Alicia, 28 ans, community manager en pleine reconversion professionnelle. “Et il y a cette idée selon laquelle la fête ne peut pas se faire sans alcool”, ajoute-t-elle.

« Les afterworks sont des moments qui se veulent socialement et collectivement, chaleureux et conviviaux. Ces contextes en France s’associent très souvent avec consommation d’alcool”, annonce le Dr Simon. Une association confirmée par l’enquête ARAMIS***** de l’OFDT, qui explique que la consommation d’alcool serait “massivement perçue comme banal, festif et convivial” et “la non-initiation peut être un facteur de marginalisation”. “Nous pouvons nous demander si ces afterworks, institués par certaines entreprises, ne sont pas des reproductions de ces systèmes collectifs où l’alcool est perçu comme un facteur facilitateur ou initiatique de liens sociaux internes ?”, questionne l’addictologue. « Je n’irai pas jusqu’à dire que je me suis sentie exclue lors d’un pot en raison de mon abstinence, mais en tous cas il m’est déjà arrivé de regretter de ne pas avoir autant de choix à disposition », raconte Mathilde, 29 ans, en pleine reconversion professionnelle. « En général, c’est jus d’orange ou soda, parce que ce sont les softs qui servent à faire des mélanges. Mais il y a quand même toujours ce fameux moment où tout le monde est guilleret, sauf toi », regrette-t-elle.

 

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Du plaisir à la dépendance

“Ça m’est déjà arrivé de rester après le boulot pour boire une bière, tout ça pour m’intégrer”, confie Jeanne, mal à l’aise. S’il n’existe heureusement pas d’injonction officielle à boire de l’alcool, les afterworks – sous couvert de décontraction et de relâchement – sont l’occasion de boire un ou deux verres, et ce de manière “régulière”. “Le risque de dépendance à l’alcool est complexe et multifactoriel”, rappelle l’addictologue. “Social tout d’abord (offre d’alcool, contexte de consommation, situation sociale) mais aussi individuel, sans compter les représentations sociales du produit … et en France, elles sont très fortes”, ajoute-t-elle. Avant de préciser, “la bière par exemple, n’est pas considérée comme de l’alcool dans la conscience collective, alors qu’en vérité, une bière à 4° (25cl) représente un verre standard et contient autant d’alcool qu’un verre de vodka”.

Proposer à ses salariés de se détendre autour d’une bière, n’est-ce pas les inciter à boire ? Et hors du lien social (et souvent éphémère) que peut créer l’alcool, n’est-ce pas les mettre en danger ? Pour le Dr. Catherine Simon, le danger arrive dès que l’alcool devient un moyen de décompresser. “L’alcool a un effet dépressogène à terme même s’il peut apporter dans un premier temps de son effet une action euphorisante. Il est donc important de s’interroger sur l’effet recherché dans la consommation d’alcool après une difficile journée de travail (rythme intense, tâches répétitives,..). N’est-ce que du plaisir ou est-ce aussi anxiolytique ?”, interroge-t-elle.

Elle conclut: “une entreprise est de mon point de vue, gagnante en réfléchissant à son organisation de travail, ses valeurs fondatrices (humanité, reconnaissance, respect, bien-être et épanouissement professionnel…) et la politique pour les faire respecter avant de vouloir créer des moments dédiés aux liens sociaux, qui plus est arrosés d’alcool.”

 

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*Les prénoms ont été modifiés

** «J’aimemaboîte – Privateaser » – Etude auprès des salariés français – 09/17

*** Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie

**** BEH n°7-8/2016

***** Projet d’étude ARAMIS (Attitudes, Représentations, Aspirations et Motivations lors de l’Initiation aux Substances psychoactives) de l’Observatoire des Drogues et des Toxicomanies, 2015

****** The Lancet, revue scientifique, avril 2018

Tags: Afterwork, Alcoolisme, Fête, Santé, Travail.