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Trente-quatre ans après la parution de La Servante écarlate, et quinze ans après les événements qu’il décrit, Margaret Atwood offre une fin à sa dystopie mondialement connue, devenue l’un des symboles pop d’une troisième vague du féminisme.
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Parue en français chez Robert Laffont en octobre, cette suite, intitulée Les Testaments, se lit à trois voix : celle d’Agnès, adolescente de Galaad terrifiée à l’idée de devoir bientôt se marier, Daisy, adolescente rebelle engagée contre Galaad depuis le Canada, mais aussi, la glaçante Tante Lydia, figure d’autorité cruelle, extrêmement respectée et crainte des habitants de Galaad.
Phénomène féministe
Depuis sa publication en version anglais, en septembre, Les Testaments a dû être réimprimé plusieurs fois. Il a aussi été auréolé du Booker Prize, le prix littéraire britannique le plus prestigieux, ex-aequo avec Girl, Woman, Other (Globe, 2021) de Bernardine Evaristo. Signes d’un engouement qui ne faiblit pas.
Mais il faut sans doute remettre un peu les choses en contexte. Dans La Servante écarlate, Margaret Atwood, désormais âgée de 79 ans, a imaginé les États-Unis sous dictature théocratique après un putsch : Galaad. Une dictature croyante, prétextant de la chute de la natalité pour établir une hiérarchisation entre les femmes, rabaissées.
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Les femmes fertiles deviennent des « Servantes », assignées à tour de rôle à des hommes de haut rang pour enfanter. Des mères porteuses forcées, violées. Les autres femmes, si elles sont très pieuses, deviennent Tantes, des sortes de garantes morales, ou des Marthas, aides ménagères, ou bien encore, des Épouses si elles sont issues de la bonne société. Quiconque entrave les lois tortionnaires de Galaad encoure l’exil dans « Les Colonies », châtiments, voire, la mort, le plus souvent en public, pour « donner l’exemple ».
Initialement publié en 1985, La Servante écarlate a connu un énorme regain de popularité lorsqu’il a commencé à être adapté en série, en 2017, par Hulu, avec Elisabeth Moss dans le rôle principal. Celui de Defred, Servante stratège qui raconte Galaad de l’intérieur, et tente de fuir. La série, dont la troisième saison a été diffusée cette année en France sur OCS, s’est attiré un public fidèle et a raflé de nombreux Emmy Awards.
Diffusée en pleine Amérique de Trump, qui menace le droit à l’avortement, l’histoire de Defred est vue par la jeune génération de féministes comme un symbole de leur lutte pour leur droit à disposer de leur corps, jusqu’à porter la robe rouge des Servantes en manifestation.
Tante Lydia, héroïne surprise
Mieux vaut donc être déjà familier de l’univers sordide imaginé par Margaret Atwood pour apprécier Les Testaments. Cette fois, le livre mêle les points de vue, des trois côtés de la balance. Un pari osé, alors que l’une de ces trois femmes n’est autre que Tante Lydia, célèbre marâtre de La Servante écarlate.
Rédigés comme des mémoires pressentant une fin certaine, les écrits de Tante Lydia sont une plongée effarante dans les rouages de Galaad à ses plus hauts niveaux, et la place des Tantes dans ses secrets les plus sombres. Recluses dans leur résidence principale, nommée Ardua Hall, où nul homme n’est censé pénétrer, elles ont le droit de lire et écrire. Décidant des affectations des Servantes, choisissant qui punir – parfois même des hommes -, assurant l’éducation sommaire et sexiste des jeunes filles, sélectionnant des prétendants à celles qui doivent se marier, les Tantes forment, véritablement, la colonne vertébrale de Galaad.
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À travers Tante Lydia, on en apprend aussi plus sur les débuts de Galaad. Les femmes raflées à travers le pays, parquées, torturées physiquement et mentalement, mal nourries, déstabilisées pour faire le tri entre fortes et faibles, manipulées, déplacées et assignées à différents rôles. Les scènes décrites sont terrifiantes et rappellent le pouvoir de l’oeuvre de Margaret Atwood : entretenir la peur que cela arrive « pour de bon » dans un pays censé respecter les droits des femmes.
Écoute attentivement. Note tous les indices. Ne montre jamais ta peur.
On se surprend, alors, à ressentir de l’empathie pour Tante Lydia, qui justifie ses actes passés abjects comme une stratégie de survie. Elle écrit, se souvenant des débuts de Galaad où lois, punitions et sermons étaient inventés à la chaîne : « Garde ton cap, me suis-je dit. Ne partage pas trop de choses sur ta vie, ça se retournerait contre toi. Écoute attentivement. Note tous les indices. Ne montre jamais ta peur. »
Jeu de dupes
Les Testaments est un roman de survie, comme La Servante écarlate. On est aussi effaré face à l’angoisse grandissante de la jeune Agnès à devoir se marier, alors que sa puberté est à l’oeuvre : « Quand une fille en était là, elle cessait d’être une fleur précieuse et se muait en une créature autrement plus dangereuse ». Pour elle, un corps de femme adulte est « un piège ».
Fille d’un haut commandant, Agnès n’a connu que Galaad et sa vision utilitariste des femmes. Elle a grandi dans la honte de son corps, construite sur des mythes de femmes pures qui doivent se protéger des ardeurs des hommes. Des mythes montés de toutes pièces, où les femmes sont responsables des mauvais traitements qu’on leur inflige. Toute sa vie, on lui a dit que les femmes ont un « cerveau particulier » qui n’est « ni dur, ni focalisé comme ceux des hommes ».
Quand une fille en était là, elle cessait d’être une fleur précieuse et se muait en une créature autrement plus dangereuse.
Pour autant, l’adolescente sent, au fond d’elle, que les femmes de Galaad sont dupées : « [Les Tantes] devaient nous apprendre à jouer les maîtresses de maison de haut rang. J’utilise le terme ‘jouer’ parce que nous devions être des actrices sur la scène de nos futures demeures. »
Survivre et combattre
La troisième voix est celle de Daisy, adolescente canadienne dont les parents sont tués. Elle découvre alors qu’ils étaient impliqués dans la lutte contre Galaad, au sein du groupe Mayday. Cette jeune fille rebelle et assez prétentieuse, peu intéressante par rapport à Agnès et Tante Lydia, se retrouve en fuite du jour au lendemain, aidée par des alliés de ses parents. Elle va devoir, pour une fois, faire ce qu’on lui dit et comprendre des enjeux bien plus gros qu’elle.
La magie de Margaret Atwood est de nous faire rentrer dans la peau de ces trois femmes. Avec ses courts chapitres, à chaque fois écrits à la première personne, Les Testaments nous emmène de l’une à l’autre comme autant de points de vue qui finissent par se répondre, se compléter. Faire sens. Dans une même envie : vaincre Galaad, et venger celles qui ont souffert. L’auteure nous offre une lecture haletante, et un point final jouissif. Il n’est jamais trop tard.
Les Testaments, Margaret Atwood, Robert Laffont, 532 pages, 22,90€. Disponible ici.
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