Droit à l’avortement menacé aux États-Unis : pourquoi c’est grave ?
© Unsplash

Droit à l’avortement menacé aux États-Unis : pourquoi c’est grave ?

Par Irène Sulmont
Temps de lecture: 4 min

Le droit à l'IVG est (vivement) en danger aux États-Unis. Une information relative à l'avant-projet rédigé par le juge conservateur Samuel Alito a fuité le 2 mai dernier. On y apprend que la cour suprême des États-Unis prévoit d'annuler la protection constitutionnelle de l'accès à l'avortement. Pourtant, un sondage(*) réalisé en 2022 révèle que les deux-tiers des Américains pensent que l’avortement devrait être légal « dans tous » ou « dans la plupart » des cas. Dès lors, comment expliquer ce retour en arrière datant de 1973 ? Explications.

Si l’arrêt Roe v. Wade de 1973 estime que la Constitution protège le droit des femmes à avorter, au nom du droit à la vie privée, ce n’est pas l’avis de la majorité des juges de la Cour suprême des États-Unis. Qu’est-ce que cela engendre ? Dans l’hypothèse où le point de vue de Samuel Alito séduit la majorité des représentants de la haute autorité judiciaire, les États-Unis reviendront donc à la situation en vigueur avant 1973. C’est-à-dire, chaque État serait libre d’interdire ou d’autoriser les avortements. Plus précisément, 26 états s’attaqueraient à l’avortement si l’arrêt Roe v. Wade était annulé. Voici quelques informations clés qui expliquent la situation de crise profonde qui plane sur les droits des femmes.

/

Quel est le rôle de la Cour suprême ?

La Cour suprême est la plus haute autorité judiciaire des États-Unis. Sa tâche principale est de trancher (en dernier recours) pour ou contre, une décision prise au sein des cinquante États ou par l’État fédéral. Dès lors, cette institution est amenée à examiner les décisions des tests de loi ou des décrets présidentiels afin d’analyser leur conformité avec la Constitution des États-Unis. Dans tous les cas, ses jugements sont sans appel, ce qui lui confère le sommet du pouvoir judiciaire.

Cette instance compte neuf juges, dont un président. Chacun.e est nommé.e à vie par le président des États-Unis en vigueur, puis reçoit l’approbation du Sénat. Chaque juge a le droit de démissionner et de se retirer de la Cour. Aujourd’hui, six juges sur neuf sont conservateurs, contre 3 progressistes.

En effet, la Cour suprême a été profondément remaniée par l’ancien président républicain Donald Trump. Ce dernier, en l’espace de cinq ans, y a fait entrer trois magistrats qui viennent conforter sa majorité conservatrice. C’est pourquoi, depuis septembre on assiste à plusieurs signaux favorables aux opposants à l’avortement. En décembre 2021, lors d’un examen d’une loi de l’État du Mississippi questionnant le délai légal pour avorter, la Cour suprême a souligné qu’elle se tenait prête à grignoter, voire abolir, l’arrêt Roe v. Wade. Bref, les droits des femmes durement acquis sont sujets à un (potentiel) tragique retour en arrière.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par . (@madisonswart)

 

Lire aussi : « Ce qu’il faut savoir de la situation en Pologne où l’avortement devient quasiment interdit »

/

Que dit le texte de l’avant-projet ?

D’une longueur de 98 pages, le document a été mis en ligne par le média basé à Washington Politico. Cet avant-projet de la Cour suprême grignoterait les fondements de l’arrêt Roe v. Wade, qui accorde le droit à l’avortement tant que le foetus n’est pas viable. Par ailleurs, il donnerait à chaque État la possibilité d’adopter sa propre loi. Étant un pilier historique, cet arrêt datant de 1973 donne la possibilité à une femme de poursuivre ou non sa grossesse. À noter que ce droit doit s’équilibrer avec les intérêts de l’État dans la réglementation de l’avortement. L’idée ? Protéger la santé des femmes (et protéger le potentiel de la vie humaine, primordial pour les conservateurs).

 

Lire aussi : « L’avortement est désormais considéré comme un crime en Georgie et dans l’Alabama. Et oui, c’est grave. »

 

Plus de 862 320 avortements ont été pratiqués en 2017 selon le Guttmacher Institute. Toutefois, la plupart des femmes qui avortent sont dans une situation de précarité. Qu’est-ce que cela implique ? Qu’en plus d’empiéter sur le droit fondamental des femmes à disposer d’elles-mêmes, la Cour instaurerait une discrimination contre les femmes enceintes pauvres. En effet, on peut facilement imaginer que celles-ci n’auront pas les moyens de voyager vers un état voisin pour avoir accès à une clinique où l’avortement est autorisé.

/

Dans quels états le droit à l’avortement est-il en danger ?

Il existe une pluralité de propositions juridiques qui viennent reconsidérer les délais légaux de l’avortement, par exemple en Floride ou en Virginie Occidentale. Par ailleurs, le pays reste divisé géographiquement et politiquement sur le sujet. En effet, de nombreux États sont conservateurs et religieux, plus spécifiquement dans le Sud et le Centre. On considère ainsi que 26 d’entre eux sont « certains ou probables » d’interdire complètement le droit à l’IVG selon le Guttmacher Institute.

À noter qu’en 2018, 28 États américains ont amené plus de 300 nouvelles règles visant à limiter l’accès à l’IVG. Cela a amené la Cour suprême à revenir sur l’arrêt Roe v. Wade. Par ailleurs, en 2021 au Texas, une loi vient interdire l’avortement dès six semaines de grossesse, allant même jusque criminaliser toute personne qui aiderait une autre à avorter. Un vent glacial souffle sur l’arrêt Roe v. Wade.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par The GW Hatchet (@gwhatchet)

Lire aussi : « Argentine : le Sénat rejette la légalisation de l’avortement »

/

Quelles sont les réactions des citoyens américains ?

Le sujet de l’avortement a toujours été clivant aux États-Unis. D’une part, les « pro-life » (ultra-conservateurs chrétiens) justifient une défense acharnée de la « vie ». D’autre part, les « pro-choice » qui considèrent qu’une femme doit avoir le contrôle de sa grossesse et de sa fertilité.

Des milliers de personnes ont pris part à des rassemblements coordonnés afin de demander aux États de mettre fin aux interdictions. L’idée ? La défense des droits fondamentaux en matière de santé sexuelle et reproductive. En effet, samedi 14 mai dernier, plus de 450 cortèges ont eu lieu dans le pays. « Pas touche à nos corps ! » est le slogan de plus de 17 000 personnes selon les organisateurs.

Pour conclure, ces mesures restrictives allant à l’encontre de l’avortement ne se traduisent jamais par une réduction et/ou une disparition des avortements. Par exemple, en Belgique de 2012 à 2019, le nombre d’avortements reste très stable selon la Fédération des Centres de Planning familial des FPS. Les lois anti-avortements rendent ces interventions simplement plus dangereuses et discriminatoires.

*Amnesty International France.

 

Si le sujet vous intéresse, lisez aussi : « 8 mars : les héroïnes qui ont marqué l’histoire du féminisme », « Lecture : 10 ouvrages féministes à lire de toute urgence » ou encore « Netflix : 4 documentaires pour cultiver votre éducation féministe ».

Tags: Avortement, Droit des femmes, Féminisme.