Alors que le culte de la performance et l’hyperactivité sont souvent loués, le repos serait pourtant le meilleur remède sur les plans mental et cognitif. Ou comment réhabiliter l’oisiveté, quand la tyrannie des agendas impose le contraire et que s’ennuyer s’apparente au tabou.

C’est un dimanche comme les autres pour Nadège. Au programme : rien. Le néant. Ni repères, ni contraintes, ni plan particulier. À 34 ans, cette chargée de projet en entreprise a adopté l’inactivité dominicale comme rituel implacable pour préserver sa santé physique comme psychologique. « Mon copain joue au foot, ma meilleure amie prépare ses menus de la semaine et va au ciné, mes parents courent les brocantes ou testent un resto…moi, je suis comme mon chat, je me languis du temps qui passe, je végète sur le canapé, je rêvasse, sans autre objectif que de profiter de cette bulle de solitude et de silence. Ça me fait un bien fou, mes batteries sont complètement rechargées quand je me lève le lundi matin ».

Comme Nadège, beaucoup cultivent cette philosophie du désœuvrement, au point qu’elle porte un nom dans de nombreux pays qui en ont fait l’un de leur mantra bien-être, à l’instar du fameux hygge au Danemark, du kalsarikänni en Finlande, du niksen aux Pays-Bas, du farniente en Italie ou encore du ikigai au Japon…

Un état d’esprit qui aurait fait ses preuves sur le plan scientifique, notamment sur le cerveau : profiter de l’instant présent, grâce à des moments réconfortants. « J’aime m’asseoir sur un banc dans le square en bas chez moi, sans livre ou téléphone. J’observe, je contemple, je m’évade, ça me ressource », sourit Lucie, trentenaire fatiguée de l’injonction sociétale culpabilisante d’être hyperactive, même en congé. « Mon copain me reproche ces moments d’oisiveté et pense que le temps est bien trop précieux pour le gâcher, alors que je ne le savoure jamais autant que dans ces parenthèses où je rêvasse ».

Le droit de ne rien faire, encore très tabou chez certains, serait pourtant un besoin vital, tant pour la santé mentale que physique, à une époque où la dictature des agendas plane sur la bonne conscience de beaucoup. Ce dont est notamment convaincu Idriss Aberkane, spécialiste en neurosciences*, prônant notamment de nettoyer son cerveau, au même titre que l’hygiène corporelle : une routine mentale qui consiste à se désencombrer l’esprit et à se mettre en mode « reset » régulièrement, pour le dépolluer des excès de stress et de sollicitations en tous genres.

« Se vider l’esprit, faire le tri et pourquoi pas le vide, peut être très bénéfique sur le plan mental », explique Céline Godart, psychothérapeute bruxelloise qui rappelle cependant que le besoin de se reposer varie en fonction de chaque individu. « Cela reste du cas par cas. Ne rien faire peut aussi être une source d’angoisse ou de stress pour certains, chacun a ses stratégies pour être en bonne forme mentale, qu’il s’agisse de travailler non-stop ou de s’autoriser quelques pauses, en faisant du yoga, une promenade …ou rien, en effet.

Gare à la nouvelle injonction sociétale qui oblige à prendre du temps pour soi, condition sine qua non au bien-être. Cela ne convient pas à tous les profils, ce n’est pas universel. Cela dit, je crois aux vertus réelles du repos et de la détente : le lâcher-prise, ne fut-ce que sur le plan corporel, est souvent bénéfique. Le repos, comme le sommeil, est bon pour la santé psychique, mais la façon dont chacun parvient à se relaxer ne doit pas être imposée.

Le repos social est primordial : parvenir à ne plus être dans le regard de l’autre, à déconnecter, à véritablement être avec soi, même quelques minutes, à la façon d’une soupape de décompression, c’est bienfaisant. Une habitude qu’il n’est pas toujours facile de prendre, alors que l’adage ‘ le temps, c’est de l’argent ’ reste plus vrai que jamais et que la notion de repos est, pour certains, synonyme de paresse », constate la spécialiste. 

Pourtant, au-delà du bien-être personnel, être reposé psychiquement et physiquement serait le gage d’une meilleure productivité. Ce qu’ont bien compris les entreprises, qui n’hésitent pas à récupérer le constat pour obliger les travailleurs à se relaxer…sur commande.

En 2021, une étude Microsoft montrait que des pauses régulières chez les employés avaient pour conséquence de réinitialiser leur cerveau, de réduire leur fatigue, d’améliorer leur concentration et leur niveau d’engagement en réunion. Au point que le bien-être en entreprise soit considéré comme un véritable outil de performance et de productivité, un investissement stratégique au nom de la qualité de vie au travail, quitte à ce que ça profite davantage à l’employeur qu’au collaborateur, qui n’a pas toujours d’autre choix que d’accepter les outils mis à son service au nom de son épanouissement personnel.

« C’est un cercle vicieux. L’émergence des ‘ chiefs happiness ’ est révélatrice de la société dans laquelle on vit. Installer une salle de repos, proposer des heures de sieste, des massages assis ou des coachings de méditation, c’est parfois une fausse bonne idée. C’est une obligation en plus : être au top sans cesse, même lors d’un loisir imposé dans le cadre du travail. Cela fait fi de ce qui contribue réellement au bien-être du travailleur.

Pour certains, aller chercher un sandwiche à l’heure du déjeuner est bien plus bénéfique : c’est sortir du bâtiment, prendre l’air, changer de cadre et de décor, faire une vraie coupure…décider d’entrée de jeu ce qui convient à quelqu’un pour qu’il se relaxe est une hérésie. Nous ne sommes pas tous identiques ! », ajoute Céline Godart. Amélie, qui travaille dans un open space depuis deux ans, en a fait les frais. « Le boss a investi dans deux tables de ping-pong et a établi une tournante pour que chacun joue trente minutes par jour, trois fois par semaine, au nom de la détente…ça ne me convenait pas du tout. Non seulement c’est encore être dans la prouesse pendant une demi-heure parce qu’on veut évidemment donner une bonne image de soi et bien jouer, mais c’est une activité obligatoire qui s’ajoute aux tâches professionnelles et qui bien souvent tombe à un mauvais moment. Dans mon cas, ça me rendait bien moins productive et ça me sapait d’autant plus le moral que je me trouvais nulle, moi qui déteste les sports de raquette », déplore la jeune femme.

Une injonction supplémentaire à être compétitif, Céline Godart rappelant l’importance d’être à l’écoute de soi, dans la quête de bien-être. « Faire une pause, oui, mais pas à n’importe quel prix. Il n’existe aucun mode d’emploi type. Ce genre d’initiative, dans le cadre professionnel, est à double tranchant. Cela culpabilise énormément ceux qui s’en veulent de ne pas ‘ réussir ’ à déconnecter et à profiter de l’opportunité ‘ en or ’ de pouvoir se détendre au boulot. Faire une pause, ça peut aussi être ‘ faire rien ’ ». 

Revers de la médaille pour beaucoup de ceux qui hésitent à se reposer : la peur de l’ennui. « C’est très culturel et ancré en nous dès le plus jeune âge. On apprend très vite à être sans cesse dans le faire.

Or, la détente est salutaire aussi pour les enfants. Un petit qui semble s’ennuyer n’est pas paresseux ou oisif, cela participe à sa construction. L’ennui supposé chez les kids leur permet de rêver, de stimuler leur imaginaire, d’être créatifs. Si plus aucun enfant ne semble pouvoir s’amuser avec un simple morceau de bois au jardin, c’est avant tout parce qu’on le sur-stimule non-stop avec toutes sortes d’activités imposées.

Or, s’accorder du répit, quel que soit l’âge, est une bonne chose, même à deux ans ! », explique Céline Godart. C’est le syndrome de l’enfant pressé, qu’a conceptualisé le Dr David Elkind : des petits qui ont un emploi du temps en total décalage avec leur âge et plus aucune minute à eux pour jouer, rire, se détendre, rêver… « La pression sur eux est énorme : scolarité, activités extra-scolaires en surnombre…ils doivent être bons en tout et tout le temps et n’ont plus aucun sas de décompression.

Exactement comme chez l’adulte, cela peut engendrer beaucoup d’angoisse, de stress, voire des états dépressifs, notamment. Le culte de la performance à outrance n’est pas recommandé. L’ennui est bon pour la santé, au même titre que le manque. Tout remplir, dont le temps libre, n’est pas nécessairement le gage de l’épanouissement, que l’on soit enfant, ado, adulte ou senior. Se permettre des bulles de calme devrait s’apprendre dès le plus jeune âge, car le trop plein d’activités quand on est jeune banalise le surtravail dans l’imaginaire de l’enfant, qui trouvera ‘ normal ’, une fois adulte, de ne pas avoir l’occasion de freiner, de se reposer, de prendre soin de lui », ajoute la psychothérapeute. Ou comment la fameuse charge mentale encombre les cerveaux de tous âges.

Rien de tel donc que de s’autoriser à laisser son esprit vagabonder quelques minutes par jour, voire des journées entières. Et si l’envie de s’occuper est plus forte, on pense à se plonger dans l’excellent ouvrage Philosophie du canapé : comment vivre une vie détendue**, du philosophe italien Stefano Scrima : éloge de la lenteur, louange de l’oisiveté, entretien de la flemme…

*Libérez votre cerveau ! Traité de neurosagesse pour changer l’école et la société, éd. Robert Laffont

**Éd. Payot et Rivages 

 

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