« Mon instinct était de les croire » : rencontre avec le réalisateur de « Leaving Neverland », le documentaire choc sur Michael Jackson
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« Mon instinct était de les croire » : rencontre avec le réalisateur de « Leaving Neverland », le documentaire choc sur Michael Jackson

Par Morgane Giuliani
Temps de lecture: 9 min

Jeudi 21 mars, M6 diffuse "Leaving Neverland", documentaire-choc où Wade Robson et James Safechuck accusent Michael Jackson de les avoir violés pendant des années, durant l'enfance et l'adolescence. Son réalisateur, Dan Reed, a expliqué sa démarche lors d'une table ronde à Paris, le 19 mars.

Il pense qu’ils disent la vérité. Oui, « à titre personnel », Dan Reed estime que James Safechuck et Wade Robson, n’ont pas menti face à sa caméra. Dans Leaving Neverland, documentaire de quatre heures réalisé pour HBO, diffusé en France sur M6 le jeudi 21 mars lors d’une soirée spéciale, les deux hommes racontent comment Michael Jackson les auraient manipulés et violés durant des années, de l’enfance à l’adolescence.

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Ranimer une affaire connue

Depuis sa diffusion en avant-première au festival de Sundance, fin janvier, puis sur les télévisions américaines et britanniques début mars, Leaving Neverland remue les souvenirs des affaires de pédocriminalité qui avaient visé Michael Jackson de son vivant. Une première en 1993, dont il se dépêtre en signant un chèque à la famille de Jordan Chandler, 13 ans lors des faits supposés. Une deuxième en 2003, dont il sort innocenté et pour laquelle il fait témoigner de nombreuses personnes, y compris Wade Robson. À l’époque, il est l’une des clés de ce procès très médiatisé, durant lequel les fans du Roi de la pop n’ont fait que gagner en ferveur.

Avec les témoignages de James Safechuck et Wade Robson, le documentaire apporte de nouveaux éléments, potentiellement accablants. « Mon instinct était de les croire, parce qu’ils paraissaient assez crédibles, et ils me disaient des choses qui n’étaient pas nécessaires », assure son réalisateur, Dan Reed, alors qu’on le rencontre avec d’autres journalistes lors d’une table ronde à Paris, le 19 mars. Comme quand Wade Robson lui a raconté qu’il était tombé amoureux de Jackson à l’âge de 7 ans, qu’il avait eu du plaisir sexuel lors des viols. Le réalisateur déclare que les deux témoins n’ont été rémunérés d’aucune manière, directe ou indirecte.

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Les deux seules victimes présumées disposées à parler

Pour Dan Reed, l’enjeu était donc d’apporter quelque chose de nouveau à une affaire mondialement connue, et maintes fois examinée. En 2016, c’est Daniel Pearl, à l’époque directeur adjoint de l’info à Channel 4, qui lui suggère de s’y intéresser. Un enquêteur relève les noms de Robson et Safechuck, que Dan Reed contacte. Il faut deux mois pour qu’ils acceptent sa proposition de témoigner longuement face caméra, ce qui n’avait jamais été fait. Après une première rencontre en octobre 2016, il les interviewe séparément en février 2017. Trois jours pour le premier, deux jours pour le second. Ce Britannique récompensé pour de précédents documentaires, aurait souhaité faire témoigner d’autres victimes présumées. Mais aucune autre n’a souhaité le faire, ou ne le pouvait, à cause d’arrangements financiers contre leur silence.

Les mères sont d’abord réticentes à témoigner à leur tour, notamment celle de Wade : « Je pense qu’elle a été un peu inspirée par le mouvement #Metoo, explique Dan Reed dans un français parfait. Elle a senti que son témoignage pourrait faire partie de cela. » Quant à la maman de James, elle lui a demandé : « Est-ce que cela pourrait aider mon fils ? » Dan Reed lui a répondu par l’affirmative.

Personne ne contredit le fait que Michael Jackson a passé la nuit avec des petits garçons, et probablement, des milliers de nuits, tout seul, dans son lit, avec des petits garçons.

Après avoir recueilli ces témoignages, une équipe fait des recherches « pendant des mois ». Dan Reed, qui a également croisé les récits filmés pour relever d’éventuelles incohérences, insiste sur le fait qu’aucun élément contradictoire n’a été trouvé. Il a aussi rencontré des avocats et procureurs, mais a décidé de ne pas les inclure au montage final. Tout comme il n’a pas souhaité faire appel à des anciens employés de Michael Jackson pouvant corroborer les accusations d’abus, « déjà vu », ni la famille de la popstar : « C’est Jackson qui se représente dans le film », à travers des images d’archives où il déclare son innocence, et des déclarations de ses avocats, justifie-t-il. « Personne ne contredit le fait que Michael Jackson a passé la nuit avec des petits garçons, et probablement, des milliers de nuits, tout seul, dans son lit, avec des petits garçons », rappelle le réalisateur.

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Raconter l’insoutenable

Durant quatre heures parfois difficilement soutenables, Wade Robson et James Safechuck racontent, dans le moindre détail, les sévices qu’ils auraient subis, et l’emprise psychologique dans laquelle ils auraient vécu durant la majeure partie de leur vie. Dan Reed leur a demandé d’être précis : « Parce que Jackson se présentait comme un innocent, un enfant dans le corps d’un homme. On le voyait mettre les bras autour des enfants, leur faire des câlins. Il fallait être très clair dans le documentaire sur le fait qu’il ne s’agissait pas de câlins, mais de rapports sexuels comme le font les adultes. Mais lui le faisait avec un enfant de 7 ans. »

Il fallait être très clair dans le documentaire sur le fait qu’il ne s’agissait pas de câlins, mais de rapports sexuels comme le font les adultes.

L’un des moments les plus perturbants est celui où James Safechuck, désormais âgé d’une quarantaine d’années, raconte comment il aurait « épousé » Michael Jackson lors d’une fausse cérémonie de mariage, organisée dans sa chambre. Il ouvre alors une boîte contenant des bagues, et affirme, en tremblant, que le chanteur s’en servait comme récompenses après des actes sexuels. Dan Reed nous révèle que cette scène a été tournée très tard, en février 2017, alors que le documentaire était déjà en montage. « On ne s’y attendait pas. C’est comme s’il ouvrait une espèce de boîte de Pandore. C’était très impressionnant. Quand on a coupé la caméra, il a dit : ‘Moi, je ne peux plus. C’est fini.’ Il ne pouvait plus témoigner. »

Quand l’enfant est dans le lit avec le prédateur, il ne se voit pas comme abusé, comme une victime.

Même si la véracité des allégations de Leaving Neverland ne peut être prouvée en l’état, le documentaire a le mérite de prendre le temps de montrer comment les abus sexuels dans l’enfance s’accompagnent de manipulation, qui enferme dans le mensonge, et parfois, le déni : « Quand l’enfant est dans le lit avec le prédateur, il ne se voit pas comme abusé, comme une victime, rappelle le réalisateur. Pour lui c’est merveilleux. C’est Michael Jackson, qui est adoré, un Dieu pour lui, qui est tendre, qui fait des choses agréables. Donc ce n’est pas un moment traumatique en soi. C’était lié à l’amour de cette figure quasi mythologique qu’ils adoraient. »

Des membres des familles de Wade Robson et James Safechuck, notamment leurs mères respectives, sont l’autre fil rouge du documentaire. « Je voulais une histoire inédite et très focalisée sur la famille, justifie Dan Reed. Je pense que c’est en comprenant l’histoire de la famille, et les relations entre les membres de la famille, qu’on arrive à comprendre ce qu’est l’abus sexuel par un prédateur qui séduit la famille entière, les parents, et les enfants. »

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Déconstruire un déni

Pour Dan Reed, Leaving Neverland n’est donc pas un documentaire consacré à Michael Jackson, mais à une affaire de pédocriminalité aux proportions énormes : « Pour moi, l’intérêt était de parler de l’emprise psychologique, la séduction graduelle d’une famille, puis des enfants, et les répercussions de tout cela dans la vie des victimes, et de la famille, vingt ans après […] Bien sûr que le nom de Jackson donne à ce documentaire, cette histoire, une portée qu’on n’aurait jamais pu avoir si c’était le prêtre à l’église, ou l’instituteur, ou l’oncle. »

Les mamans n’ont pas vendu leurs fils, je tiens à le clarifier. Elles ont été étourdies par le statut de star de Michael Jackson, son charme personnel.

Bien que le récit de ces mères glace le sang, Dan Reed appuie le fait qu’elles étaient aussi manipulées : « Les mamans n’ont pas vendu leurs fils, je tiens à le clarifier. Elles ont été étourdies par le statut de star de Michael Jackson, son charme personnel, la manière dont il se présentait comme un enfant de neuf ans, qui s’introduisait dans leur foyer. Et puis, il se présentait un peu comme un garçon qui avait besoin d’une mère, qui était très seul, angoissé. Donc ces mamans avaient un instinct protecteur envers lui. Ça faisait partie de la manipulation, puisqu’il éloignait les pères et gardait les mères proches afin de pouvoir accéder aux enfants. »

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C’était un manipulateur. Tout était très calculé, et sans pitié.

Pour ce réalisateur très respecté, qui a couvert des sujets difficiles tels que des zones de guerre, le tremblement de terre à Haïti ou les attentats contre Charlie Hebdo, Michael Jackson avait une mécanique au point : « On voit la facilité avec laquelle les méthodes s’enchaînent. Il n’y a pas d’hésitation. […] C’était un manipulateur. Tout était très calculé, et sans pitié. Jackson était un homme très habile, très intelligent, qui ciblait des familles avec une faille. »

Dan Reed ne s’était pas renseigné en amont sur la manière dont les abus sexuels dans l’enfance peuvent avoir des répercussions sur toute une vie. En cela, le tournage des témoignages a été une prise de conscience : « J’ai compris à travers le récit de Wade, d’une manière très pratique, comment ça se passe quand on tombe amoureux de son prédateur, qu’on ne dit rien à personne, même sa maman, qu’on construit sa vie sur un mensonge. » Il souhaite même enquêter à nouveau sur la psychologie des victimes de pédocriminalité.

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Insoupçonnable

Avant d’être mères, Joy Robson et Stephanie Safechuck étaient, elles aussi, des admiratrices vouant une confiance sans limite à la star : « Pour comprendre les mamans, il faut regarder les fans, estime Dan Reed. Elles ont avalé le mythe de Jackson, qui se présentait comme un enfant dans le corps d’un homme. […] Même aujourd’hui, les gens ne veulent pas savoir, ne veulent pas entendre, surtout quand c’est une icône. L’abus sexuel sur enfants reste un tabou. »

Même aujourd’hui, les gens ne veulent pas savoir, ne veulent pas entendre, surtout quand c’est une icône.

Pour le réalisateur, on peut parler d’un déni collectif : « La société a été naïve et complaisante en acceptant cette image de Michael Jackson comme d’un petit bébé Jésus qui s’entourait d’enfants, qui avait son parc d’attraction. […] Il a créé cette image d’un homme étrange, insolite, qui vivait une vie que personne n’avait vécue, entouré d’enfants. Il a établi une sorte de normalité excentrique autour de lui, pour cacher ce qu’il faisait. »

Dan Reed révèle par ailleurs que dans un premier temps, la boîte de réception de son entreprise de production s’est retrouvée saturée de « centaines d’emails avec des menaces de mort, des injures ». Depuis, ils ont été remplacés par des remerciements et témoignages de personnes elles-mêmes violées dans leur enfance.

Les fans sont encore nombreux à qualifier Leaving Neverland de calomnieux. « Je m’attendais à du vacarme, mais pas qu’ils soient persistants à ce point, ni qu’ils n’écouteraient pas, s’étonne Dan Reed. Parfois, ils voient le film et ont tendance à en ignorer le contenu, ce qu’on dit dans la presse. Ils insistent à répéter les mêmes détails, les mêmes histoires qui ne valent rien, qui sont des pseudo-faits. »

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La bascule

Dan Reed l’affirme : il n’aurait pas hésité à réaliser son documentaire même si Michael Jackson était encore en vie. Il pense même que Leaving Neverland aurait ramené le chanteur devant la justice. Tout comme il est persuadé que sans Wade Robson, qui s’est exprimé sur les viols qu’il aurait subis pour la première fois à la télévision en 2013, James Safechuck n’aurait jamais parlé à son tour. Les deux hommes s’étaient alors rencontrés brièvement, pour un déjeuner. Ils n’ont ensuite plus eu de contact jusqu’à Sundance. Pour Wade Robson, témoigner devant la caméra de Dan Reed a été une « catharsis » : « Plus il parlait, mieux ça allait. Il y a une espèce de magie qui se passe quand on raconte son histoire. Ça l’a aidé. James, au contraire, ça l’a foudroyé. » Depuis, ce dernier va « beaucoup mieux », s’est endurci.

Il y a une espèce de magie qui se passe quand on raconte son histoire.

« C’est un très beau moment pour eux », rapporte Dan Reed. Le réalisateur a constaté une « bascule incroyable, un soulagement immense » pour les deux hommes après la projection du documentaire au festival indépendant de Sundance, où la salle s’est levée. À propos de Wade Robson, devenu chorégraphe, il ajoute : « Ça fait 5-6 ans qu’on lui dit que c’est un menteur, qu’on lui crache dessus, qu’il cherche juste de l’argent. Pendant des années, seuls sa famille et ses avocats l’ont cru. »

Quand on lui demande s’il estime qu’il faut boycotter la musique de Michael Jackson, Dan Reed est partagé. Dans l’idéal, mieux vaut que la culture reste disponible. Mais il nuance : « En revanche, quand la société se retourne contre la musique de Michael Jackson, pour les victimes, les personnes qu’on n’a jamais entendues, […] c’est un peu une indication qu’on les croit. »

Leaving Neverland, de Dan Reed, diffusé sur M6 le 21 mars à 21h

Source : marieclaire.fr

Charlotte Deprez Voir ses articles >

Foodie assumée, obsédée par les voyages, la photographie et la tech, toujours à l'affût de la dernière tendance Instagram qui va révolutionner le monde.

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