Ce voyage en République démocratique du Congo, nous l’avons effectué en 2015. Nous avions entendu parler de l’incroyable travail réalisé par le docteur Denis Mukwege et son équipe à l’hôpital de Panzi. Situé à Bukavu, dans le Kivu du sud, l’hôpital accueille et répare les survivantes de violences sexuelles.
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Pour tenter de comprendre l’origine de cette véritable épidémie de viols, il faut remonter en 1994, lorsque les milices hutues et les forces armées qui avaient présidé au génocide rwandais se sont repliées et installées dans des camps de réfugiés dans la province du nord et sud Kivu. Retranchées mais toujours combatives, elles n’ont eu de cesse d’attaquer le nouveau gouverne- ment du Rwanda qui a ni par riposter en 1996, provoquant ainsi une guerre régionale. Cette guerre a créé de nouvelles milices armées qui pillent et détruisent tout sur leur passage.
Ces rebelles se servent du viol comme arme de guerre. Ils ne cherchent pas à tuer, mais à terroriser la population en commet- tant des actes d’une cruauté à faire vaciller la raison. Des centaines de milliers de femmes sont concernées. Ces viols sont toujours perpétrés, parce que ceux qui les commettent le font en toute impunité. La loi prévoit bien des peines de prison, mais les femmes violées ne portent pas plainte de peur d’être poursuivies ou rejetées. Seules des ONG étrangères et des organisations locales se sont émues de leur sort et travaillent sur le terrain pour apporter soins de santé, réconfort et soutien psychologique.
Esclaves sexuelles
Le trajet qui mène vers l’hôpital de Panzi, où travaille le docteur Denis Mukwege, traverse des paysages de collines verdoyantes qui semblent pourtant si paisibles. La condition des femmes dans cette région du Congo est particulièrement difficile. Ce sont elles qui cultivent les champs et gèrent la vente des récoltes, elles qui s’occupent des enfants et de l’entretien de la maison, elles encore qui subissent de plein fouet la violence d’une guerre larvée qui n’en finit pas. Ces femmes représentent un butin de guerre et certaines sont emmenées de force pour servir d’esclaves sexuelles aux miliciens.
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Il faut encore ajouter à ces horreurs une donnée supplémentaire: la superstition et le fétichisme font croire aux hommes que le fait d’avoir des relations sexuelles avec une enfant prépubère ou une femme ménopausée les immunisera contre le virus du sida. Personne n’est donc à l’abri, ni les enfants, ni les femmes âgées. Les conséquences de ces viols sont innombrables. Après avoir subi le pire, elles sont rejetées par leur mari et par leur communauté. Après un viol avec violence, les victimes souffrent souvent d’une fistule traumatique, c’est-à-dire d’une déchirure des tissus entre la vessie et le vagin et parfois même le rectum. Les séquelles sont nombreuses, notamment l’incontinence. Les femmes qui en souffrent sont répudiées et expulsées du village. La plupart du temps, elles n’ont nulle part où aller et tentent de survivre. A la honte du viol s’ajoutent la culpabilité et le dénuement le plus absolu.
Tortures et mutilations
L’hôpital de Panzi, ouvert en 1999 avec l’aide de l’Unicef, avait pour vocation d’accueillir les femmes enceintes pour les faire accoucher dans de bonnes conditions, le taux de mortalité maternelle et infantile étant très élevé dans la région. Le docteur Denis Mukwege, gynécologue obstétricien, en est le fondateur et le directeur. Il nous accueille entouré de son équipe médicale. D’un ton posé, le regard las mais empli de bonté, il nous explique l’inconcevable. «Le jour de l’inauguration de l’hôpital, dix femmes ont accouché, mais nous avons également dû nous occuper d’une patiente victime de violences sexuelles avec trau-matisme par balle. On lui avait inséré une arme et tiré dans le vagin, détruisant ainsi tout son appareil génital. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’un épiphénomène, d’un acte unique. J’ai rapidement déchanté. Les femmes victimes de viols n’ont jamais cessé de se présenter à notre porte. Nous avons dû changer de cap. Aujourd’hui, notre activité principale consiste à réparer les dégâts causés par les viols. Le but des violeurs est d’empêcher les femmes de donner la vie. Les tortures subies sont d’une barbarie sans nom. Certaines, après avoir été violées par plusieurs hommes, sont écartelées sur des braseros, on leur introduit du plastique brûlant dans le vagin, on les mutile à la machette.
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Suite à ces destructions, elles n’ont plus ni rectum, ni vessie, ni appareil génital. Nous essayons ici de réparer, de guérir les conséquences de ces tortures, mais 30 % sont incurables et je ne vous parle pas de celles qui, en plus, sont contaminées par le virus du sida. Nous accueillons chaque jour une dizaine de femmes vio- lentées. Elles arrivent dans un état de délabrement absolu, avec le sentiment d’être abandonnées, souillées et seules au monde. Notre tâche consiste avant tout à les déculpabiliser, à leur redonner dignité et envie de vivre.»
Notre visite est perçue comme un encouragement: «Vous nous rendez notre dignité. Nous aimerions que le monde sache ce qui se passe ici et qu’il réagisse pour que ces violences cessent et que nous puissions reprendre le cours de notre vie sans peur.»
Une victime nous raconte son calvaire, elle a été violée une première fois et répudiée par son mari. De ce viol est né un enfant illégitime. Elle a survécu dans la forêt avec son bébé où elle a subi un deuxième viol. Elle est arrivée brisée à l’hôpital et dans un tel état de malnutrition qu’il a fallu la réalimenter durant des semaines avant de pouvoir l’opérer. Elle est allongée dans son lit, son bébé dort paisiblement à ses côtés. Elle ne le gardera pas, elle se sent incapable d’aimer cet enfant qui lui rappelle en permanence son agression. Même s’il n’y est pour rien. C’est un autre problème à régler rapidement : de ces viols massifs, une génération entière d’enfants illégitimes voit le jour. Livrés à eux-mêmes, abandonnés à leur tour, quel genre d’humains seront-ils demain?
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