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L’envie de pleurer quand on repense à son accouchement. La honte de raconter ses petites et grandes déceptions. Les scénarios qui tournent en boucle dans la tête, des mois durant. Sur le site Paroles de Mamans, certains témoignages en disent long sur les nouvelles injonctions qui pèsent sur les femmes.
« Et si j’avais pris cette décision, qu’est-ce qu’il se serait passé ? ». « Je sais que si prochain bébé il y a, je demanderai aussi la péridurale car, au final, je suis une fiotte ». « Dans ma tête, j’attendais juste que mon mari dise ‘oui tu souffres trop, prends-la’ (ndlr : la péridurale), et je l’aurais fait »…
Ce spectre de ruminations aux airs de « peut mieux faire » rappellent étrangement les examens scolaires.
Exerçant en libérale, Charline Sage-Femme (@charline.sagefemme), est familière des récits post-accouchement. Et le sentiment d’échec après la naissance les colore régulièrement. « Derrière lui, se cache la croyance qu’il est possible de ‘réussir’ une naissance. Comme si l’on pouvait avoir les pleins pouvoirs sur un événement soumis à de nombreux paramètres non maîtrisables. Il règne une grande part d’inconnu autour de l’enfantement », rappelle l’auteure de Je me prépare à la naissance ! (Solar).
La péridurale, ou l’enfer du choix
En tête des facteurs clivants : le oui ou non à la péridurale suscite des cas de conscience qui gâchent la vie des futures mamans.
L’accouchement « sans » est de plus en plus vu comme le « vrai », voire le plus noble ; la version « avec » est considérée comme « facile », alors que les césariennes sont parfois vendues et vécues comme des ratés. Derrière cette sémantique culpabilisante, pointe une compétition loufoque à l’heure où les tabous autour du post-partum se libèrent.
« On hiérarchise les naissances sans prendre en compte les histoires personnelles, les contextes médicaux et autres aléas de la maternité », regrette la sage-femme Charline. Face à un risque d’éclampsie ou en présence de détresse fœtale, il n’est pas question de choisir mais d’agir. On oublie qu’assurer une délivrance avec un bébé – et une maman – en bonne santé reste une victoire, au regard de l’Histoire.
Une défiance envers le milieu médical qui pèse sur le choix du type d’accouchement
Certaines mamans lâchent complètement prise et acceptent les choses comme elles viennent. D’autres se révèlent très réfractaires à certains types d’accouchements. Des réactions accentuées par la défiance croissante vis-à-vis du milieu médical.
« Celle-ci est positive quand il s’agit de libérer la parole autour de violences obstétricales qui ont leur réalité. Toutefois, nous rencontrons de nombreuses situations où il n’y a aucune violence mais où les femmes manquent de nuances », évoque encore la professionnelle.
On hiérarchise les naissances sans prendre en compte les histoires personnelles, les contextes médicaux et autres aléas de la maternité.
Parfois, l’équipe médicale se trouve dans l’obligation et l’urgence d’agir, sans avoir le temps de communiquer suffisamment. Autre facteur qui nourrit les à priori : le rejet de la médicalisation excessive de la maternité. « Ce refus est légitime mais il est peut être difficile pour un patient de faire la différence entre l’hyper médicalisation et la situation où la prise en charge est nécessaire », prévient la soignante. « Le personnel médical n’est pas responsable à 100% de toutes les complications, comme la patiente ne peut pas être à 100% responsable de l’absence de complication ».
Injonction à la performance lors de l’accouchement : comment en est-on arrivé là ?
« On ne se posait probablement pas toutes ces questions avant. Elles montrent que des injonctions pèsent toujours sur les mères et futures mères », observe France Artzner, co-présidente du Ciane, Collectif associatif autour de la naissance.
« Après l’ère de l’hyper-médicalisation et du tout-péridurale, les accouchements naturels se font doucement une place sur la scène maternité. On assiste à une forme d’idéalisation sur ce qu’ils pourraient être. On passe d’un extrême à l’autre comme souvent. Pourtant, les sage-femmes interrogent énormément les mères sur ce qu’elles veulent et ce qu’elles pensent être bon pour elles-mêmes », relativise France Artzner.
Selon elle, les mentalités ont évolué car, aujourd’hui, le personnel médical présente davantage les différents choix qui s’offrent à la future mère… même si en réalité, elles n’ont pas tant de choix que ça.
« En France, le taux de péridurale est extrêmement élevé. Il faut donc manier avec précaution cette injonction à l’accouchement sans péridurale, qui reste ultra minime », recadre la représentante. « Les influences sous-jacentes se font surtout en faveur de la péridurale ; la société se demande d’ailleurs massivement pourquoi les femmes se privent de cette technique d’anesthésie ».
Des regrets souvent notés, quelques soient les formes d’accouchement
Avec ou sans péri, en césarienne programmée ou non… Les états d’âme sont au rendez-vous dans tous les types d’accouchements car les femmes restent souvent piégées par les à priori.
« Vous aurez autant de témoignages de femmes qui se sont senties jugées ou qu’on aura fait culpabiliser parce qu’elles n’auraient pas eu un ‘vrai’ accouchement ; que de la part de celles qui accouchent sans péridurale. L’enfantement de ces dernières pourra être dénoncé comme rétrograde, pas moderne car la souffrance n’est pas nécessaire », souligne France Artzner.
Même constat pour l’allaitement, qui reste mal considéré par une partie de la société. La co-présidente du Ciane enfonce le clou : les femmes ont toujours été, et restent jugées dès qu’elles font un choix pour elles et leur enfantement.
Quand l’accouchement est surinvesti
« Comme il faut réussir sa carrière, son couple, l’éducation de l’enfant, on veut à tout prix bien vivre l’arrivée de bébé. On veut, nous aussi, que ce soit le plus beau moment de notre vie », décrit Charline Sage-Femme.
Des attentes souvent illusoires. « C’est comme une rencontre amoureuse : parfois c’est le coup de foudre, d’autres fois, on croise une personne avec qui nous allons vivre une belle histoire ; et pourtant, le moment même de cette rencontre est tout à fait banal. Un accouchement peut être vécu comme un moment difficile, voire nul, et être OK« , rassure la professionnelle.
Comme il faut réussir sa carrière, son couple, l’éducation de l’enfant, on veut à tout prix bien vivre l’arrivée de bébé.
Et de rappeler qu’une naissance bien vécue n’est pas forcément un enfantement tout beau tout rose sur le papier. « J’ai accompagné des femmes lors de délivrances difficiles, avec forceps et épisiotomies, et qui l’ont pourtant traversé de manière positive ; à l’inverse, des accouchements naturels peuvent être très mal vécus », raconte-t-elle.
D’après l’accompagnante, nombreuses sont les femmes qui ne savent pas comment lâcher prise tout court dans leur vie. « Heureusement, certaines futures mamans se préparent aussi à l’imprévu, et c’est une bonne chose. Pas d’attente, pas de déception ! ».
Le poids des réseaux sociaux et du syndrome de la « Wondermom »
La sage-femme libérale appelle à la vigilance quant aux réseaux sociaux qui nous abreuvent de témoignages tous plus forts les uns que les autres.
« Ce partage de différentes vérités est une richesse. Mais sommes-nous vraiment faites pour entendre autant d’histoires, à fortiori quand on a une tendance à nous comparer aux autres ? Que retient-on de ce que nous lisons ? », interroge-t-elle. Il existe une telle attente et un tel souhait de maîtriser ce que l’on vit que lorsque les choses ne se passent pas comme prévu, certaines perdent pied.
Notre rôle de femme est difficile car nous devons à la fois nous émanciper, travailler mais aussi être une mère parfaite, tout cela sans jamais nous plaindre.
Attention aussi au syndrome de la bonne élève, pointe Charline Sage-femme. Rentrer dans les cases, tout bien faire pour obtenir de l’approbation… « Notre rôle de femme est difficile car nous devons à la fois nous émanciper, travailler mais aussi être une mère parfaite, tout cela sans jamais nous plaindre », relève-elle. Accepter de mal vivre son accouchement, prendre le temps de faire le deuil de son accouchement rêvé pour mieux remonter la pente… Ces étapes sous le signe de l’auto-compassion sont salutaires. « La déception fait partie de la vie, elle nous accompagne et nous fait grandir si on apprend à l’accueillir ».
Aujourd’hui les femmes se questionnent énormément sur la manière dont elles peuvent réussir leurs projets. « Peut-être serait-il plus écologique de nous demander aussi comment nous sentir actrice de ce que nous ressentons face à ce qui se présente », suggère Charline Sage-femme. La grande initiation de la naissance ? Nous adapter au réel.
Cet article est paru pour la première fois sur Marie Claire France.
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