Ludovic de Saint Sernin, le designer qui efface les frontières du genre
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Ludovic de Saint Sernin, le designer qui efface les frontières du genre

Par Elspeth Jenkins
Temps de lecture: 5 min

Issu de la nouvelle génération de talents émergents, Ludovic de Saint Sernin compte déjà des fans de renom comme Rihanna, Solange et Dua Lipa. Ce Français, né à Bruxelles, s’affranchit des stéréotypes de genre, sans pour autant opter pour une mode informe et oversized. L’amour, le sexe et la liberté sont au cœur de ses collections et reflètent parfaitement la personnalité du créateur. Interview.

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Si pour beaucoup d’entre nous, le slip à œillets ne fait pas partie des basiques, Ludovic de Saint Sernin a relevé la gageure de développer une marque de mode entière autour de ce petit article. De son propre aveu, ce sont ses slips qui lui ont valu une nomination au prestigieux prix LVMH en 2019, et partant une renommée mondiale. Après avoir été repérés sur les podiums, notamment dans leurs versions en léopard et en cristaux Swarovski, ils représentent désormais près de 40% des ventes de la marque.

Il serait cependant injuste de réduire son label à ce seul best-seller. Les collections de Ludovic de Saint Sernin contiennent beaucoup plus de substance – au propre comme au figuré – que ce produit phare. Il serait le créateur à suivre selon ses fameux collègues Rick Owens et Olivier Rousteing. Et ce dernier sait de qui il parle puisque notre compatriote s’est formé chez Balmain pendant trois ans. « Ses collections sont une ode au corps, à l’amour et à l’érotisme, mais toujours avec un goût sublime », a déclaré Rousteing à Business of Fashion.

À l’origine, de Saint Sernin présentait ses collections exclusivement sur des mannequins masculins, mais comme il a toujours rejeté les cases définies par les genres, la gent féminine aussi défile pour lui aujourd’hui. Les hommes portent des robes et des jupes, les femmes des pantalons et des chemises en cuir épais. Rencontre autour d’un café à Paris pour évoquer ses origines belges, ses sources d’inspiration, la durabilité et le sexe.

Quel est votre lien avec la Belgique ?

Je ressens une certaine connexion, car j’y suis né. Néanmoins, ma famille a déménagé en Côte d’Ivoire quand j’étais petit, puis j’ai grandi à Paris. C’est pourquoi je ne pense pas pouvoir revendiquer un quelconque terrain là-bas.

Où trouvez-vous votre inspiration ?

Je me tourne toujours vers le passé pour en tirer des enseignements, grandir et m’améliorer. Le passé influence l’avenir. Mais je pense qu’il est important de vivre le moment présent. Les voyages resteront une source constante d’inspiration. Robert Mapplethorpe est un photographe que j’admire énormément. Je me considère extrêmement chanceux qu’un modèle de ma première collection soit devenu une pièce emblématique. Dans les photos de Mapplethorpe, on voit beaucoup de jockstraps en maille et de sous-vêtements en cuir. J’adore le laçage, comme en témoigne mon célèbre slip inspiré des photos de Mapplethorpe.


La sexualité et la neutralité de genre sont au cœur de vos collections. Comment expliquez-vous ça ?

Pendant mes études à l’École Duperré à Paris, j’ai rencontré de nombreuses personnes non binaires, gays ou lesbiennes.

C’est à ce moment-là que j’ai envisagé pour la première fois le rôle qu’un styliste peut jouer dans la sexualité de ceux·elles pour lesquel·le·s il crée. Plus précisément, je conçois ce qu’on considère généralement comme des vêtements féminins, mais pour tout le monde. L’idée qu’on puisse être qui on a envie d’être me semble primordiale. Car même si j’ai présenté ma première collection uniquement sur des hommes, elle a surtout suscité l’intérêt des acheteurs de boutiques pour femmes. J’y vois le signe que, dans le monde de la mode au moins, on est prêt à battre en brèche la pensée genrée.

“Il ne faut pas se demander si certaines pièces sont masculines ou féminines, mais simplement arborer la meilleure version de soi-même”

Portez-vous vous-même des robes et des jupes ?

Absolument ! Mon rêve d’adolescent est devenu réalité, car je peux maintenant porter les vêtements de stars féminines comme Britney Spears, Lindsay Lohan et les jumelles Olsen, que j’admirais à l’époque. De nos jours, il y en a pour tous les goûts. On ne se
moque plus d’un homme en robe, et il n’est plus considéré comme un travesti. C’est pourquoi il faut arrêter de se demander si certaines pièces sont masculines ou féminines. Chacun·e devrait pouvoir arborer la meilleure version de lui·elle-même sans que ça s’apparente à une déclaration politique.

Vous êtes actif sur Instagram, et il vous arrive de poser pour votre marque. Est-ce un choix délibéré ?

Pour ma génération de créateurs, incarner sa propre marque relève de l’évidence. Rick Owens le fait depuis bien longtemps. Ce qui est nouveau, grâce à Instagram, c’est qu’il existe désormais un large public sensible à cette pratique. Je puise également mon
énergie dans la famille créative que j’ai constituée autour de moi, et les réseaux sociaux jouent un rôle important à cet égard. Avoir officié comme mannequin pour ma campagne de maillots de bain l’été dernier, c’était plutôt une coïncidence. Juste avant le shooting, la pandémie a éclaté. Willy Vanderperre (photographe belge, ndlr) a estimé qu’il était préférable que que je pose plutôt que de faire voyager un mannequin. Les choses se sont déroulées de façon organique. La collection faisait référence à la rupture avec mon compagnon. Il n’y avait donc personne de mieux placé que moi pour raconter cette histoire en images.

 

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Essayez-vous de travailler et de vivre de manière durable ?

J’aimerais conseiller à chacun·e de regarder le vêtement qu’il·elle achète et de se demander s’il ou si elle veut le garder dans sa garde-robe pour le reste de sa vie. Même si nous sortons une nouvelle collection tous les six mois, j’ai l’impression que les gens réfléchissent de plus en plus à leur façon de consommer. Ma marque présente une approche durable, avant tout grâce à notre production à petite échelle et à la durée de vie infinie de nos pièces. Les collections sont intemporelles d’une manière innovante.

Que nous réserve LdSS cet automne-hiver ?

Cette saison, je veux mettre en lumière la relation entre les créateurs et le culte de la célébrité. La collection, baptisée All the rumours are true, porte sur la conscience et l’amour de soi. J’ai envie de me placer au cœur de l’identité de ma marque. Pour cette ligne, je suis à la fois designer et muse. On peut voir cette démarche comme «Un jour dans la vie de…». Ça se traduit par des tops enveloppants en crêpe de soie noir et kaki, des jeans taille basse monogrammés qui évoquent la brume euphorique d’une rave hédoniste et des looks plus décontractés qui dégagent toujours la même extravagance. Pour la deuxième fois, je lance également une collection de chaussures, en collaboration avec le fabricant Piferi spécialisé en cuir vegan. Ces pièces permettront à chacun·e de devenir la star de sa propre existence. Pour que, une fois sous les projecteurs, toutes les rumeurs deviennent réalité…

 

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Des podiums parisiens aux dernières nouveautés skincare qui enflamment TikTok, je décrypte les tendances pour Marie Claire Belgique. Passionnée de voyage, de mode et de beauté, je partage mes coups de coeur dénichés aux quatre coins du globe. En tant que rédactrice en chef digital, j'ai également à coeur de mettre en lumière les histoires inspirantes de femmes à travers notre site et sur nos réseaux sociaux.