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Dans le podcast « États-Unis : ce pays qui marie ses enfants », sorti début mars sur France Inter, Valérie Cantié enquête sur ce secret bien gardé : les mariages forcés de mineures avec des adultes dans la légalité la plus totale. La journaliste a rencontré de nombreuses victimes. Elle révèle qu’en 2023, ce ne sont pas moins de 43 États qui se rendent complices de cette pratique d’un autre temps.
Des chiffres effrayants
L’association Unchained At Last fondée par Fraidy Reiss, elle-même survivante de mariage forcé, a fait de ce combat sa spécialité. Selon une étude de l’association, entre 2000 et 2018, ce sont près de 300 000 enfants qui ont subi cette violence. Au moment de leur mariage, certains avaient tout juste 10 ans et ils n’étaient pas loin de 10 000 à avoir moins de 16 ans. L’étude révèle que les filles sont davantage touchées par le phénomène. Dans 86% des cas, une jeune fille a été forcée d’épouser un homme adulte.
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Ce que dit la loi sur ces mariages forcés
Aux USA, l’âge légal pour se marier est bien fixé à 18 ans. Mais alors, comment se fait-il que ces mariages de mineurs aient lieu ? Il se trouve que 43 États sur 50 prévoient des exceptions notamment la Californie. Global Hope 365, une association californienne qui lutte pour la fin de ces mariages, explique comment cela se passe. Dans cet État, une personne mineure, sans âge minimum, a le droit de se marier si ses parents sont d’accord et qu’un juge valide la décision. Si le tribunal est censé auditionner les enfants pour vérifier leur consentement, la législation ne tient pas compte du fait que ces derniers peuvent subir des pressions extérieures, familiales ou communautaires, qui les poussent à masquer leur réelle volonté.
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Si le mariage est autorisé, il arrive que les relations sexuelles au sein de certains de ces « couples » soient tout de même considérés comme des crimes (12%). C’est Unchained At Last qui met le doigt sur cette flagrante contradiction. L’association explique également que des filles et garçons se retrouvent bloqués dans ces mariages car trop jeunes pour demander le divorce et entamer une procédure judiciaire. Être représenté par un avocat est difficile, voir impossible quand on est mineur. Fuir n’est pas non plus une solution miracle, car l’enfant est alors considéré comme un fugueur. En plus de ça, il ne sera pas toujours en mesure de trouver un hébergement d’urgence, car les foyers d’aide aux victimes de violence n’hébergent pas les mineurs non-accompagnés.
L’impact sur les victimes
Le Tahirih Justice Center, un organisme américain qui vient en aide aux femmes immigrées victimes de violence, s’est penché sur les cas de mariages forcés. En 2021, le groupe a listé les conséquences désastreuses de ces unions pour les victimes. Le phénomène peut entraîner des maltraitances envers ces enfants, des violences domestiques/intrafamiliales, des situations d’emprise et des agressions sexuelles. En ce qui concerne ces dernières, Tahirih explique que c’est bien souvent la cause même de ces mariages forcés.
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Des jeunes filles se retrouvent mariées à leur agresseur, poussées par leur famille ou leur communauté pour leur éviter d’être « couverte de honte ». Un procédé extrêmement violent et culpabilisant pour la victime. Même constat du côté d’Unchained At Last qui précise que, dans 88% des cas, le mariage a été un moyen d’éviter la prison pour l’agresseur. L’association alerte également sur les conséquences dramatique au niveau éducatif, économique et sur la santé des jeunes filles.
La puissance des lobbies
Si des associations et certains politiques mettent en lumière tous ces problèmes, pourquoi 43 États n’empêchent pas ces horribles mariages qui n’ont rien d’un conte de fées ? Il se trouve que les personnes qui se battent sans relâche pour faire changer les lois font face à un ennemi de taille. Comme la journaliste Valérie Cantié l’apprend au cours de son enquête, de puissant lobbies américains, comme la très influente Union Américaine pour les Libertés Civiles (ACLU), refusent de faire des concessions sous prétexte de protéger les libertés individuelles. Ils justifient leur opposition par le fait que la Cour Suprême a statué que le mariage est un droit fondamental. Ainsi, ils s’opposent à l’interdiction du mariage aux moins de 18 ans et même, à l’instauration d’une limite d’âge. Un argumentaire qui balaye d’un revers de la main le sort qui attend des milliers d’enfants si les lois ne sont pas durcies.
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