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« La peur et le stress liés à la pandémie de Covid-19 ont été répartis sur chacun de nous, sans discrimination. Mais face à une situation inconfortable, le genre induit des comportements différents, qui sont le produit d’une société patriarcale séculaire, fondée sur la domination masculine. L’homme va adopter une attitude autoritaire, tandis que la femme aura tendance à se soumettre », souligne Alain Felgenhauer, praticien en thérapie brève stratégique et hypnose PTR ( Psychothérapie du Trauma Réassociative), tout en faisant remarquer que la violence conjugale ne se limite pas aux coups. « Ignorer l’autre, ne plus lui parler, c’est aussi une forme de violence. » Quant à la violence verbale, il la compare au supplice de la goutte, une méthode de torture chinoise qui consiste à immobiliser une personne et à laisser tomber une goutte d’eau sur son front à intervalles réguliers. Après quelques heures, cette goutte fait l’effet d’un coup de massue.
“ Ainsi, une remarque négative peut paraître anodine, mais quand elle frappe toujours au même endroit, elle finit par détruire la personne qu’elle cible. ”
Grâce à l’hypnose conversationnelle stratégique, Alain Felgenhauer vient en aide aux victimes de violence. À travers leurs échanges, thérapeute et patient désensibilisent les éléments douloureux du passé et soignent les flashbacks, cauchemars et autre perte d’estime de soi qui en découlent. « Il est important de préciser que le sujet n’est pas endormi, passif ou absent. Au contraire, avec l’aide de l’hypnothérapeute, il reprend le contrôle sur les symptômes physiques, souvenirs et émotions qui le tourmentent. »
LES CONFIDENTS DU CONFINEMENT
Alors que les victimes étaient confinées avec leur bourreau, les lignes d’écoute sont pratiquement devenues les seuls recours, jusqu’à la saturation. « En collaboration avec le Collectif contre les violences familiales et l’exclusion, la police et le CPAS, la Ville de Liège a sollicité les pharmacies et les librairies pour que les personnes en détresse puissent demander de l’aide en dehors de leur domicile. Ces enseignes restées ouvertes ont ainsi fait office de relais afin de diriger les victimes vers les associations qui pouvaient les prendre en charge », explique Diana Nikolic, conseillère communale à Liège, députée wallonne et présidente de la commission pour l’égalité des chances entre les hommes et les femmes au parlement wallon, qui a commencé sa carrière politique pour « rendre service » à son parti qui se voyait imposer, par les lois sur la parité de 2002, des quotas en faveur de l’égalité hommes-femmes sur les listes électorales.
« À l’époque, j’étais la plus jeune élue au conseil communal de Liège. Blonde et enceinte, je cumulais les tares aux yeux de beaucoup de collègues masculins, dont le paternalisme me donnait l’impression de ne pas être prise au sérieux. » Un sentiment ressenti par de nombreuses femmes, tous secteurs professionnels confondus, qui les poussent à redoubler d’efforts pour être reconnues, voire irréprochables. De manière générale, qu’il s’agisse de harcèlement de rue ou de sexisme dans le monde du travail, Diana Nikolic se demande si les femmes n’ont pas développé depuis le plus jeune âge une série de mécanismes de défense qu’elle s’appliquent au quotidien sans s’en rendre compte. « Par exemple, lorsque je porte un chemisier décolleté, je le reboutonne quand je me retrouve seule en rue le soir. Ce n’est pas normal, mais c’est intégré. »
DES ADOS VIOLENTS
Force est de constater que la violence touche toutes les couches de la population, y compris les familles éduquées et conscientisées, et tous les âges. « À l’adolescence, la violence est partout, observe Lise Lesuisse, psychologue en centre PMS de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les ados sont violents contre eux-mêmes – la mutilation et la scarification en particulier ont explosé dernièrement – et entre eux – les insultes gratuites et publiques sont monnaie courante sur les réseaux sociaux, l’intention étant de créer un buzz. »
Au sein du couple, mais aussi dès les premiers échanges derrière les écrans pendant la période de séduction (et de confinement), une certaine forme de violence est apparue. « À travers les médias et la téléréalité, les adolescents sont confrontés à des relations passionnelles et conflictuelles. La jalousie, les insultes, les coups et même l’intimité sont banalisés. Non seulement le sexting est un phénomène de plus en plus répandu, mais la sexualité n’est plus associée aux sentiments amoureux. Or, le passage du virtuel au réel est un choc, en particulier pour les jeunes filles », poursuit Lise Lesuisse. En effet, trouvant dans le porno leur principale source d’information, les garçons usent de pratiques sexuelles empreintes de brutalité, et les filles ne comprennent pas ce qui leur arrive. « Après être passées à l’acte, elles ne se sentent pas bien, mais elles ne savent pas expliquer pourquoi. Leur discours est plus revendicateur qu’il y a dix ans, mais leur comportement n’est pas en adéquation, ce qui prouve que les notions de féminisme et de consentement ne sont pas bien comprises. Mon objectif est de réinscrire les adolescents dans un cadre, de réinstaller des repères et des frontières, an qu’ils sachent où s’arrêter, quand et avec qui. »
“ La jalousie, les insultes, les coups et même l’intimité sont banalisés. ”
À l’adolescence, les jeunes commencent également à poser leurs choix, affirmer leur personnalité et privilégier leurs pairs – au lieu de leur père –, ce qui peut être source de violence au sein de la famille. « Certains parents n’acceptent pas que leur enfant ne partage pas leurs convictions, et il n’est pas facile de leur faire entendre que le mineur ne se sent pas en accord avec leurs valeurs, surtout quand la culture ou la religion s’en mêle. Les filles sont plus sujettes à ces situations parce que les parents contrôlent davantage leurs décisions, leur sorties, leurs fréquentations… », constate la psychologue.
LUTTER CONTRE LES STÉRÉOTYPES
Il est primordial de poser un bon diagnostic en amont afin de déployer des solutions efficaces en aval. Il s’agit d’identifier les situations à risque et de quantifier les cas de violence afin d’orienter au mieux les moyens financiers pour prendre des mesures pertinentes. Cette collecte de données statistiques fait néanmoins défaut en Belgique bien qu’elle figure parmi les priorités de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (en abrégé, Convention d’Istanbul, adoptée en 2011 et entrée en vigueur en 2014). « Il est important d’obtenir des données chiffrées pour prendre des actions curatives, certes, mais il est aussi urgent à mes yeux de traiter le mal à la racine via des mesures préventives », estime Sibylle Gioe, avocate impliquée dans la défense des droits humains.
“ Les violences à l’égard des femmes constituent un problème structurel, ancré dans notre société. Ces faits ne sont ni isolés ni accidentels. ”
« On ne peut donc pas se contenter de punir les auteurs des actes. » Un point de vue présenté également dans le préambule de la Convention d’Istanbul qui dispose que les États signataires – dont la Belgique – reconnaissent que « la violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation. » Pour dépasser ces rôles attribués aux femmes et aux hommes, l’article 12 de la Convention définit l’éradication des préjugés, des coutumes, des traditions et des autres pratiques fondées sur l’idée de l’infériorité de la femme ou sur un rôle stéréotypé des genres, comme une obligation générale de prévenir la violence à l’égard des femmes. Et Sibylle Gioe d’ajouter : « Tout le monde doit se sentir impliqué dans la lutte contre les stéréotypes, en particulier les garçons et les hommes. »
FÉMINICIDE, JE T’AIME MOI NON PLUS
Alors que le plan d’action national contre les violences de genre, piloté par la secrétaire d’État Sarah Schlitz, prévoit notamment de définir cet automne ce qu’est le féminicide, la Ligue des droits humains considère que la lutte contre ces crimes ne doit pas se limiter à une ligne supplémentaire dans le Code pénal. Elle doit faire l’objet de mesures bien plus larges et pérennes mises en œuvre par les États, comme la prévention (défendue par Sibylle Gioe), la récolte et l’analyse de données (préconisées par Diana Nikolic), l’éducation (soutenue par Lise Lesuisse) ou encore la sensibilisation du grand public et des professionnels concernés (comme Alain Felgenhauer). La boucle semble bouclée, ce qui démontre la nécessité de privilégier une approche circulaire et holistique pour traiter la problématique en profondeur.
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