“C’était la bonne personne, mais pas le bon moment.” Une phrase devenue mantra des cœurs cabossés, comme si l’amour dépendait d’un calendrier capricieux. Le timing peut-il vraiment nous voler une histoire d’amour ?

“C’était la bonne personne, mais pas le bon moment”.

La phrase est devenue presque proverbiale, tel un baume appliqué sur une rupture mal cicatrisée. Comme si l’amour parfait existait, tapi dans le calendrier, et qu’il suffisait de rater sa date pour le voir nous passer sous le nez.

Un concept quasi universel au cœur de la série Netflix One Day ou encore du drame romantique britannique All of You, disponible sur Apple TV+ dès ce 26 septembre 2026. Deux personnages que tout relie — sauf le moment.

Mais loin de la fiction, peut-on vraiment louper l’amour de sa vie pour une question de mauvais timing ?

Quand l’évidence ne suffit pas

Inès* a rencontré cette fameuse “bonne personne” un soir d’été. “On s’est matchés, il m’a appelée avant notre rendez-vous et sa voix m’a tout de suite plu. Le soir même, on s’est embrassés, c’était comme une évidence”. Quelques semaines plus tard, elle part avec lui dans sa maison familiale au bord de la mer.

Mais très vite, le vernis craque. Il panique dès qu’elle évoque une relation sérieuse. Chômage, instabilité, logement bancal : la liste des blocages s’allonge. “Il refusait de définir ce qu’on était, tout en parlant d’avenir… Ça m’a fatiguée et j’ai rompu, même si j’étais très attachée à lui. Je sentais qu’il n’était pas dans une période de vie faite pour moi”.

Pour Catherine Demangeot, thérapeute de couple et sexothérapeute, ce genre de situation ne tient pas au calendrier. “Ces histoires reflètent souvent un manque de disponibilité émotionnelle, plutôt qu’un mauvais timing extérieur”. Autrement dit : ce n’est pas la vie qui n’est pas prête, c’est la personne.

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Qui est la “bonne” personne ?

Si le mauvais moment est un faux coupable, la “bonne personne” l’est peut-être aussi. “On est dans un grand écart entre deux croyances erronées”, tranche la thérapeute. “La première, c’est qu’il existerait un moment idéal. La seconde, c’est qu’il y aurait une personne idéale. En réalité, on rencontre quelqu’un qui nous correspond à l’instant T et qui agit comme un miroir”.

Steven*, 31 ans, partage ce point de vue plus réaliste. “Pour moi, la ‘bonne’ personne, c’est celle avec qui tu veux tout partager, tout vivre et jusqu’à ce que ça n’en finisse plus”, avant d’ajouter : “j’ai déjà pensé l’avoir rencontrée dans mes relations passées et ça a fini par se terminer. Je ne regrette pas, parce que ça m’a été bénéfique à ce moment-là”.

Le jeune homme ne croit pas forcément en une seule “bonne personne” pour chaque cœur, mais pense qu’il n’y aura qu’une “femme de sa vie” — et que le timing n’aura alors aucune importance. “Dans ce cas-là, ça fonctionnera, quel que soit le moment”.

Tout déblayer avant de s’aimer

Camille, 39 ans, a rencontré Adam en 2014. Le timing, justement, n’était pas le bon : chacun était déjà en couple et plusieurs centaines de kilomètres les séparaient (elle vivait en France, lui en Angleterre).

Pourtant, le lien se tisse. Pendant plusieurs années, ils échangent presque tous les jours et vivent des périodes rudes ensemble : des séparations, un cancer, une pandémie… Puis, Camille fini par couper les ponts : “j’avais fait un travail thérapeutique, je ne pouvais pas rester embourbée dans cette situation”.

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“Il fallait d’abord tout déblayer : les bagages, les traumas, les relations ratées”

Deux ans plus tard, elle recontacte finalement (et subtilement) Adam via les réseaux sociaux. Ils se retrouvent à Londres, et ne se quittent plus. Aujourd’hui, ils préparent leur mariage, prévu pour le 14 février 2026.

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“Si on s’était mis ensemble à cette époque-là, ça n’aurait jamais fonctionné. On a énormément grandi chacun de notre côté. À l’époque, on n’était pas encore complètement déconstruits”. Camille résume leur parcours avec lucidité : “Nos âmes, elles se sont un peu choisies. Mais il fallait d’abord tout déblayer : les bagages, les traumas, les relations ratées…”.

Préférer l’introspection à l’attente

Inès a posé un ultimatum. Camille a coupé les ponts pour avancer. Steven a appris de ses relations passées. Tous évoquent ainsi une même nécessité : savoir où on en est soi-même avant d’embarquer quelqu’un d’autre dans sa vie (et pour la vie ?).

“Afin d’aller vers les autres, il faut d’abord être en bonne santé émotionnelle”, résume Catherine Demangeot. “Savoir si on est disponible ou pas, objectivement. Sinon, c’est de l’auto-sabotage. Il faut déboulonner les croyances erronées en thérapie, vivre dans l’instant présent, pas dans la projection ou le fantasme d’un amour parfait…”.

Sinon, il est fort probable que la peur de l’engagement, le manque de confiance en soi ou l’obsession de reproduire les schémas du passé nous fassent croire que ce n’est “jamais le bon moment”.

Le piège de l’amour impossible

De son côté, Inès n’a jamais vraiment oublié cet homme qu’elle nous a raconté. “On s’est revus plusieurs fois, je suis même partie en vacances avec lui. Mais l’engagement l’effrayait toujours… Jusqu’à ce qu’il se mette en couple avec une autre”.

“Je sais que ce n’est pas notre heure et je ne l’attends pas particulièrement. Mais force est de constater que je n’arrive pas à relationner depuis. J’ai fait quelques dates, mais dès que ça ne se passe pas aussi bien, je mets de la distance. Je compare tout avec notre histoire”.

Pour Catherine Demangeot, ce scénario est connu : “C’est l’amour impossible. ‘Je t’aime, mais je ne peux pas être avec toi’. Ça devient une identité. On s’interdit de vivre pendant que l’autre fait sa vie”. Et de pointer un piège plus subtil : “On fantasme sur quelqu’un, sur la passion, et on projette, mais on se fait du mal. Perdre du temps ne nous paraît pas grave dans ce cas-là”.

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Steven, lui, met justement en garde contre la confusion entre passion et amour solide. “On aime tous ça, la passion. C’est fort, spontané, authentique. Mais c’est éphémère. Derrière, il faut construire. Et pour ça, il faut le vouloir”. Il insiste : “trouver la bonne personne, ce n’est pas juste tomber dessus. C’est se donner les moyens de la rencontrer. Il faut être bien avec soi. Pas forcément avoir une confiance en soi inébranlable, mais savoir qui on est”.

Et là réside le cœur du sujet : l’amour ne surgit pas dans un moment parfait. Il arrive quand on est prêt à l’accueillir, ce qui implique d’avoir travaillé sur soi, clarifié ce que l’on veut, appris à poser des limites et s’être libéré de nos vieux scripts intérieurs.

Bridget Jones, Marc Darcy et la carte du cœur

Cette idée que “ce n’est pas le bon moment” se mue donc en une prophétie limitante. On l’a (presque) tous entendue ou prononcée. Et pourtant, même dans la pop culture, elle est battue en brèche. “Bridget Jones, lors de sa rencontre avec Marc Darcy, porte un pull ridicule, elle a la gueule de bois, sa vie est un chaos. Et ça n’empêche rien”, sourit Catherine Demangeot.

La psychothérapeute parle plutôt d’une “carte amoureuse” : un modèle relationnel forgé dès l’enfance, à travers nos attachements, nos blessures, ce qu’on a observé chez les adultes autour de nous. “Les rencontres ne sont jamais tout à fait un hasard. On attire ce qui résonne avec notre histoire. Et si on évolue, nos choix amoureux évoluent aussi”.

Alors, si votre timing semble toujours décalé, c’est peut-être que vous vous cachez derrière lui. Car l’amour ne semble pas nécessiter un créneau parfait.

*Les prénoms ont été modifiés.

 

Cet article a initialement été publié par Marie Claire France.