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Psycho: je suis stylée donc je suis ?
© Robert Andall/ Unsplash

Psycho: je suis stylée donc je suis ?

Temps de lecture: 5 min

« Je n’ai plus rien à me mettre ! ». Cela vous dit quelque chose? Difficile d’être crédible face à une garde-robe qui déborde. Pascale Navarri, psychanalyste, à analysé les raisons qui nous poussent tant à vouloir rester stylée.

Suite à une expérience personnelle déroutante et les nombreux questionnements de ses patients sur le lien entre leur identité et leur apparence, Pascale Navarri s’est penchée les racines psychologiques de la mode. Dans son ouvrage « Trendy, sexy et inconscient », elle décortiquait ses codes, ses contraintes et… ses victimes ! Une vision pertinente sur un monde souvent taxé de ‘superficiel’, mais qui s’avère l’être nettement moins qu’il n’y paraît.

 

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Vous citez Freud concernant la place fondamentale qu’a le visuel dans la relation aux autres. Vous développez l’idée que si l’on cherche tant à être « à la mode », et donc l’envie d’être toujours « neuve », c’est parce qu’on est à la recherche du regard admiratif que nos parents portaient sur nous bébé…

« Pas uniquement celui des parents. Celui de l’entourage en entier qui posait des regards émerveillés vers ce nouvel être. Quand on souhaite être à la mode, être au goût du jour, cela signifie souvent que l’on désire susciter un regard nouveau sur soi. »

Comment expliquer cette fierté qu’on tire d’un compliment sur une tenue?

« C’est un plaisir narcissique d’avoir suscité le regard admiratif. Ce sont des satisfactions de la pulsion scopique (voir et être vu). Cette pulsion provoque trois formes de plaisir: celui de voir, de regarder et de montrer. »

Une recette pour garder un rapport sain?

« Lorsque la mode devient une tyrannie, et non plus un plaisir, c’est qu’on n’a probablement plus, à l’intérieur de soi, suffisamment de tranquillité avec la question de sa propre image. Mais ce n’est souvent qu’un moment dans la vie, un passage plus difficile à négocier. Ce qui fonctionne habituellement – comme l’entourage ou ce qu’on apprécie chez soi – devient, pour des raisons d’insatisfactions temporaires, insuffisant. Cette dépendance aux vêtements et à l’image est souvent une façon d’essayer de passer un cap.

 

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Les fashions victims qui sont constamment dans le besoin d’être la première, dans le nouveau, de posséder tout avant tout le monde, développent alors des éléments de rivalité importants. Parfois, il suffirait d’un regard ou de paroles tendres et rassurantes de l’entourage pour que progressivement cette tyrannie cesse. »

Vous évoquez le concept de ‘l’auto-sexy visuel’. Dorénavant, on veut se plaire à soi-même avant de plaire aux autres…

« Bien sûr, il faut s’aimer soi-même pour pouvoir aimer les autres, mais en ce moment, on promeut un sexy uniquement centré sur soi. On cultive l’idée qu’il faut se plaire à tout prix pour provoquer un regard admiratif de l’autre. Pas pour créer un préliminaire à la rencontre, et donc attirer l’autre à soi, mais juste pour en rester là. Pour se rassurer de son admiration. Peut-être est-ce là le signal que la rencontre avec les autres est plus difficile, plus effrayante qu’avant.

L’adolescence est le moment où l’on quitte l’admiration de ses parents pour trouver l’admiration d’autres personnes avec lesquelles on va être en relation, et construire notre vie. Dès lors, le sexy qui n’est pas fait pour attirer l’autre représente probablement une certaine peur de s’engager. »

 

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Or selon vous la mode à un rôle essentiel à l’adolescence : elle permet de trouver son identité.

« Elle peut s’apparenter à ce qu’on appelle une activité transitionnelle, c’est-à-dire une activité qui permet un passage d’un état à un autre. On observe beaucoup de changements de look à l’adolescence… La capacité de jouer, au sens psychanalytique, est quelque chose de tout à fait fondamental dans la construction de notre vie psychique. Il faut que la mode puisse rester un jeu. C’est d’ailleurs ce que font la plupart des femmes : elles jouent avec la mode, elles l’interprètent, elles se donnent une image parfois très différente au gré des changements de saisons. Le côté éphémère de ces variations permet de développer une créativité au service du développement de l’identité. »

Comment expliquer le succès des accessoires ‘portés par des stars’ ?

« Il s’agit peut-être d’une façon d’exprimer qu’on ne sait pas encore très bien comment investir sa propre vie. Avoir le même sac de marque d’une star peut n’être qu’un clin d’œil, pour autant qu’on le réinterprète pour soi, avec son propre style. Mais si cela devient ‘avoir le sac de la star pour être comme elle’, cela indique probablement une difficulté d’être suffisamment satisfaite de soi dans sa propre vie. »

Souvent, on désire être dans le coup en ressemblant aux autres – Que celle qui n’a pas ses Stan Smith, lève le doigt -, mais on redoute de porter la même robe qu’une autre en soirée…

« Ce ‘pire’-là fait partie de l’ordre de la rivalité, qui fait partie de tout à chacun. Ce qui est plus problématique, c’est quand la rivalité ne se fait plus avec les autres mais avec des modèles idéaux. Cette rivalité là est nettement moins constructive. La rivalité face à des tiers pour séduire un garçon, par exemple, est classique. Par contre, c’est nettement plus dur avec un modèle idéal ou avec soi-même. Quand on est la star de soi-même, quand on pense « qu’on le vaut bien ». Que se passe-t-il alors quand on a le sentiment qu’on le vaut moins ? Cela implique de rester toujours parfait, à la pointe, la plus regardée, le plus à la mode… Cette rivalité est beaucoup plus difficile à vivre sur le plan psychique. »

 

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Est-ce que la mode n’est pas une métaphore de notre course contre la montre ?

« La mode est une métaphore de notre lien avec le temps et la construction de notre identité. Elle permet de se décaler par rapport au temps qui passe. La mode des années 70 se réfère à présent à une période de notre vie. Cela nous renseigne sur la personne que nous étions à ce moment-là, comment on vivait la mode à cette période ou non… »

Y-a-t’il un aspect nostalgique dans la mode ?

« Parfois oui, et tant mieux. C’est intéressant de pouvoir faire de la nostalgie un jeu, et éviter que cela ne devienne trop sombre. Encore une fois, tout dépend si on le vit comme une acclimatation, ou si l’on est rivé au temps comme à un ennemi. Il faut avoir de la tendresse par rapport à son image. En regardant les photos anciennes, on peut, grâce au look, placer la photo dans le temps. C’est un des grands talents de la mode. Regarder ces photos datées permet aussi d’accepter le temps qui passe. »

Si un look renseigne sur notre état psychique, alors comment expliquer le décalage qu’il y a parfois entre l’image qu’on dégage et celle qu’on espère donner?

« C’est un point très intéressant. Quelques soient nos désirs de maîtrise, énormément de choses passent, et font partie, de notre inconscient. Heureusement, nous ne sommes pas à même de maîtriser qui nous sommes à chaque moment. Ce décalage, c’est ce qui fait la rencontre avec les autres.

Si on maîtrisait tout, et que les autres n’avaient pas d’avis, ce serait tristoune. C’est le meilleur de la mode: on essaie de faire quelque chose, une partie échappe à notre contrôle et permet aux autres, avec leurs propres histoires et leur propre inconscient, de percevoir quelque chose de nous. Ce qui créé du nouveau. Ou des avis divergents: « je me souviens la première fois qu’on s’est rencontré, tu portais ta robe à pois blancs qui te va si bien… ». Alors qu’on pensait qu’elle nous boudinait. Cet écart fait qu’on est humain. »

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Valentine Van Gestel Voir ses articles >

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Tags: Fashion, Mode, Psycho, Psychologie, Style, Stylée.
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