La montée des « tradwives » représente-t-elle un danger pour le féminisme ?
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La montée des « tradwives » représente-t-elle un danger pour le féminisme ?

Par Lotte Gillis
Temps de lecture: 4 min

Ceux qui parcourent souvent les réseaux sociaux les ont probablement déjà rencontrées : les "tradwives". Mais d'où viennent-elles et rejettent-elles réellement le féminisme ? Nous avons posé la question à Karlijn Massar, professeure de psychologie du travail et sociale.

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Qu’est-ce qu’une « tradwife » ?

Pour mieux comprendre ce phénomène, il faut commencer par définir le terme « tradwife », une combinaison de « trad » (traditionnel) et « wife » (épouse). Ce nouveau terme désigne donc des femmes qui reviennent à des rôles dits traditionnels. Plutôt que de poursuivre une carrière, elles se consacrent aux tâches ménagères pendant que leur mari gagne l’argent. Un retour aux années 50 et 60, en somme.

Actuellement, les tradwives connaissent une véritable montée en popularité sur TikTok, où elles partagent leur quotidien à travers de courtes vidéos. L’une des figures les plus emblématiques est l’Américaine Nara Smith, épouse du modèle mormon Lucky Blue Smith. Nara va même plus loin, considérant qu’il est de son devoir de fabriquer tout ce dont la famille peut avoir besoin à partir de rien. Des cornflakes au dentifrice, en passant par la crème solaire, rien ne semble trop difficile pour elle.

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D’où vient cette tendance ?

Il est surprenant de voir ce phénomène attirer autant d’attention aujourd’hui, après des années de lutte féministe pour l’indépendance des femmes. Selon la professeure Karlijn Massar, il y a une explication logique : « Avec les nombreuses incertitudes actuelles dans le monde, certaines personnes aspirent à une vie plus simple et prévisible, qu’elles pensent trouver en revenant aux rôles traditionnels. »

L’experte remarque également que cette tendance est plus répandue dans certains milieux. Elle gagne en popularité dans des groupes où la religion est importante, comme chez les tradwives américaines souvent présentes sur les réseaux sociaux. Mais même en Belgique et aux Pays-Bas, certaines femmes adoptent ce style de vie. « Nous observons également que les convictions politiques jouent un rôle significatif. Ce phénomène est plus courant dans les groupes d’extrême droite, » ajoute la professeure Massar.

Populaire parmi la génération Z

Selon la professeure Massar, ce sont surtout les jeunes générations, en particulier la génération Z, qui reviennent aux rôles traditionnels. « Dans cette génération, on observe deux extrêmes. D’un côté, il y a les Gen Z extrêmement progressistes et activistes, qui accordent beaucoup d’importance à la diversité. De l’autre, on trouve un groupe très conservateur qui préfère les rôles traditionnels. Entre ces deux extrêmes, il y a une grande majorité modérée, » explique Massar.

Karlijn Massar propose une explication à la popularité de cette tendance chez les jeunes générations : « Les générations plus âgées ont grandi avec des mères qui ne pouvaient pas poursuivre de carrière. Elles ont été les premières à pouvoir le faire et ont été heureuses et fières de mener une carrière comme les hommes. Aujourd’hui, nous vivons une époque de grande liberté de choix, où chacun peut adopter le style de vie qui lui convient le mieux. Cela peut aussi inclure un mode de vie de femme au foyer. »

Qu’en est-il du féminisme ?

Ce phénomène suscite généralement peu de compréhension parmi les féministes, ce qui n’est pas surprenant. En effet, les tradwives prônent souvent l’idée que la meilleure place pour la femme est auprès des enfants et derrière les fourneaux, ce contre quoi les féministes se battent depuis des décennies. Cependant, la professeure Massar affirme que ce phénomène ne doit pas être vu entièrement comme un mouvement antiféministe. « La grande différence avec le passé, c’est qu’aujourd’hui, il y a la liberté de choix. Les femmes qui optent pour ce mode de vie le font par choix personnel et non parce que c’est imposé. »

De plus, la professeure Massar estime que nous devrions relativiser la popularité de cette tendance. Selon elle, les tradwives restent une niche et la plupart des femmes sont toujours attachées aux valeurs féministes. En outre, cette tendance est principalement présente dans les milieux d’extrême droite. Globalement, les femmes restent plutôt progressistes et les hommes plutôt conservateurs. Selon elle, le phénomène attire tant d’attention justement parce qu’il rejette les idées pour lesquelles les féministes ont lutté pendant tant d’années.

L’importance d’une décision réfléchie

Quoi qu’il en soit, la professeure Massar souligne les risques associés au mode de vie de « tradwife ». « Imaginez que vous souhaitez divorcer ou découvrez que votre mari vous trompe, et vous vous retrouvez sans rien, car vous êtes financièrement dépendante de lui. L’autonomie, y compris l’autonomie financière, reste extrêmement importante dans le monde d’aujourd’hui, » avertit-elle.

Cependant, selon elle, il y a aussi des aspects positifs à cette tendance. Par exemple, il peut être très bénéfique pour une femme de ne pas avoir à être à la fois la mère parfaite, la professionnelle accomplie et la partenaire idéale. « Le fait de ne pas avoir à exceller dans l’une de ces identités peut déjà réduire considérablement la pression. » Enfin, selon elle, la vie de « tradwife » n’est accessible qu’aux femmes privilégiées. « Il n’y a pas beaucoup de familles avec enfants qui peuvent vivre avec un seul revenu. C’est donc un choix libre, mais uniquement pour celles qui sont déjà financièrement à l’aise, » conclut la professeure Karlijn Massar.

 

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Malvine Sevrin Voir ses articles >

Des podiums parisiens aux dernières nouveautés skincare qui enflamment TikTok, je décrypte les tendances pour Marie Claire Belgique. Passionnée de voyage, de mode et de beauté, je partage mes coups de coeur dénichés aux quatre coins du globe. En tant que rédactrice en chef digital, j'ai également à coeur de mettre en lumière les histoires inspirantes de femmes à travers notre site et sur nos réseaux sociaux.