Qui est Nora Monsecour, celle qui a inspiré le film Girl sur la transidentité ?
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Qui est Nora Monsecour, celle qui a inspiré le film Girl sur la transidentité ?

Par Marie Honnay
Temps de lecture: 7 min

Le personnage qui a inspiré le film Girl sorti en 2018, c’est elle. À 25 ans, Nora Monsecour devient le visage de Pantene, mais aussi la première égérie belge dans l’histoire de la marque. Plutôt que de s’attarder sur la transition physique qu’elle a vécue ou de s’ériger en modèle absolu pour d’autres personnes en transition, Nora préfère laisser son message s’exprimer au travers de la danse et, hors scène, ouvrir le débat en dépassant le spectre de sa propre histoire.

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Vous êtes née dans une famille très ouverte d’esprit. Et vous avez un frère jumeau. À quoi a ressemblé votre enfance ?

Je me suis toujours sentie femme. En tant qu’enfant transgenre, ce n’est pas au sein de ma famille que j’ai connu le plus de discriminations. Je peux d’ailleurs me considérer comme particulièrement chanceuse d’avoir grandi aux côtés de parents qui disent avoir toujours su. Cette acceptation par mes parents, mais aussi par mon frère, de qui je suis vraiment proche, m’a permis de démarrer très tôt mon processus de transition.

Vous insistez sur l’aspect global de cette transition qui ne se limite pas, selon vous, à l’aspect physique des choses.

Pour ma part, elle a duré de mes 6 ans à mes 18 ans. Aujourd’hui encore, je me sens grandir tous les jours. La chirurgie n’est en effet qu’une infime partie du processus de transition. Aujourd’hui, à 25 ans, je peux enfin profiter pleinement de ce long cheminement et des décisions que j’ai prises pour y arriver.

Vous expliquez néanmoins que la discrimination à l’égard d’un enfant transgenre se cache parfois dans des éléments qui, de l’extérieur, peuvent sembler anecdotiques.

Quand j ’ai commencé la danse – d’abord classique -, je me suis heurtée à un milieu extrêmement codifié qui ne laissait aucune place à la différence. Chaque fin d’été, au moment de reprendre les cours de danse, je devais aller chez le coiffeur pour me faire couper les cheveux très courts. Pour moi, c’était un drame, la négation de qui j’étais. Lorsque j’ai voulu danser d’une façon plus féminine, différemment de que ce que l’on attend d’un garçon dans le ballet classique, je n’ai pas pu. On m’a d’ailleurs refusé l’accès à une classe de filles.

 

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Aujourd’hui, vous menez une carrière internationale dans le registre de la danse contemporaine. Un choix délibéré ?

Danser, c’est ma raison de vivre. Je sais que cette phrase semble cliché, mais elle traduit parfaitement mon besoin de m’exprimer par le biais du corps et de sortir de certaines cases dans laquelle je refusais d’entrer. À 22 ans, je suis partie me former pendant trois ans à la Northern School of Contemporary Dance en Angleterre. Désormais, je danse au sein de la compagnie Staatstheater Mainz. La danse contemporaine est moins rigide, moins codifiée que le ballet.

 

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En termes d’acceptation de toutes les différences, le monde de la danse reste, à certains égards, extrêmement formaté.

Oui, même si, ces dernières années, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer davantage d’ouverture. Celles de gays qui souhaitent danser ensemble, par exemple. Dans ma compagnie, les différences font partie du quotidien. Si, pour ma part, je peux enfin porter les cheveux longs, la grande diversité de looks des danseurs est une autre manière d’envisager cette diversité. Même si, sur scène, nous jouons un rôle, nous y intégrons une grande partie de nous. Et quand nous nous produisons dans un pays hostile à l’homosexualité ou à la transidentité, nous amorçons un dialogue qui, même lorsqu’il est muet, n’en reste pas moins extrêmement engagé. Ouvrir le débat, c’est déjà militer. Il ne faut jamais sous-estimer l’impact de chaque geste, aussi discret soit-il.

Ouvrir le débat, c’est déjà militer.

Vous sentez-vous féministe ?

Le terme me gêne un peu, dans le sens où il me paraît encore trop restrictif. Ce qui m’intéresse, c’est la célébration de chaque individualité. Je suis convaincue que c’est en amorçant le dialogue, en partageant mon expérience au travers de la danse, mais aussi de cette campagne pour Pantene, que nous pouvons conscientiser les gens à cette réalité et ainsi accélérer certains processus d’acceptation qui, comme dans le milieu de la danse, tardent à se matérialiser. Dans certaines communautés ou certains milieux élitistes, il reste beaucoup d’obstacles à franchir.

 

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C’est pour cette raison que vous avez accepté ce rôle d’égérie Pantene ?

Je crois que créer le dialogue, c’est aussi inspirer d’autres gens à parler. Quand j’étais adolescente, je n’ai pas eu de modèle sur lequel m’appuyer dans mon processus de transition. Si, au travers de cette campagne qui me présente comme une femme et une artiste sans s’attarder sur ma transidentité, je peux inciter les gens à partager leur vécu, j’aurai atteint mon objectif. En tant qu’égérie, ce qui m’intéresse, c’est d’inviter les gens à surmonter les moments plus difficiles de leur existence en s’accrochant à des valeurs ou des symboles qui les rassurent. Dans mon parcours personnel, les cheveux ont toujours joué un rôle-clé. Qu’on les porte courts ou longs, peu importe. Ce qui compte, c’est ce que vous voulez exprimer au travers de votre apparence. Pour que les choses avancent, il faut montrer au lieu de cacher. Et si vous n’entrez dans aucune case ? C’est O.K. Beaucoup d’efforts restent à faire, c’est indéniable. Les choses avancent lentement, mais elles avancent dans la bonne direction.

 

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Au-delà de cette campagne, vous invitez aussi à la réflexion au travers des réseaux sociaux, Instagram, notamment.

Mon profil Instagram est une plateforme qui me permet de m’exprimer sur certains sujets (je pense notamment aux membres de la communauté LGBTQ+ tués chaque année ou à la loi votée en juin dernier par le Parlement hongrois). Mais, je le répète, je me refuse d’être un modèle dans le sens premier du terme. Chaque histoire est unique. Il n’existe aucun mode d’emploi ou de règle à suivre.

Et la mode ? Vous a-t-elle aidée dans l’expression de votre identité ?

J’ai toujours eu une grande fascination pour Marlene Dietrich, pour la manière dont elle détournait les codes de la garde-robe masculine pour les rendre féminins.

Aujourd’hui, vous portez d’ailleurs un tailleur pantalon.

J’aime porter des chemises d’hommes oversize, mais aussi des escarpins. J’aime jouer. Pour moi, ce jeu autour du vêtement équivaut à refuser que telle ou telle chose soit labellisée « féminine » ou « masculine ». Cette vision, je la dois aussi à mes parents. Ce sont eux qui, à l’adolescence, m’ont convaincue que je n’avais pas besoin de forcer le trait en m’habillant de manière ostensiblement féminine pour prouver que j’étais une femme.

 

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Le secteur de la mode multiplie les tentatives pour s’inscrire dans cette mouvance inclusive. Qu’en pensez-vous ?

À condition que cette approche soit l’occasion d’initier un vrai débat et d’amorcer un dialogue qui dépasse le vêtement ou le cadre strict d’un défilé, je suis favorable au fait de voir des femmes rondes, des personnes de couleur ou transgenres sur un catwalk. Ces initiatives doivent aller dans le sens d’un respect de l’individu. À quoi sert une apparition de quelques secondes sur un podium ou un spot télé de 20 secondes s’il ne s’accompagne pas d’une vraie réflexion de fond ?

En tant que femme et en tant qu’artiste, quels sont vos prochains défis ?

J’ai passé l’essentiel de ma vie à planifier : ma transition physique et les nombreuses auditions qui m’ont permis d’accéder au statut de danseuse professionnelle. Désormais, j’ai envie de profiter pleinement de mes succès. Et si, au travers de mon art ou de cette campagne, je peux encourager une prise de conscience à grande échelle, c’est fantastique. Ce qui m’importe, même lorsque je m’engage sur des sujets graves, c’est de terminer sur une note positive. Aujourd’hui, l’information existe. Elle est partout. Ceux qui prétendent ne pas voir ou savoir sont en fait ceux qui ne veulent pas voir. Malgré ça, je suis confiante. En termes d’acceptation des différences, chaque pas compte.

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Vivre pleinement son identité

Par le biais du hashtag #HairhasnoGender, Pantene s’engage de manière globale dans une réflexion sur les questions de genre. Depuis quelques années, la marque a multiplié les initiatives et les programmes visant à élargir le débat et à conscientiser les consommateurs, mais aussi les professionnels du secteur à ce type de problématiques. Le groupe a notamment mis en place GABLE, l’acronyme de Gay, Ally, Bisexual, and Lesbian Employees, une initiative qui encourage les actions visant à permettre aux collaborateurs du groupe de considérer leur lieu de travail comme un espace sécurisant où ils se sentent libres de vivre pleinement leur identité. Au Canada, la marque s’est également associée à la coiffeuse et activiste Kristin Rankin, fondatrice de l’association DressCode Project. L’objectif: aider les coiffeurs canadiens, mais aussi européens, à instaurer, au sein de leur salon, une atmosphère propice à l’expression de chaque individualité.

 

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Des podiums parisiens aux dernières nouveautés skincare qui enflamment TikTok, je décrypte les tendances pour Marie Claire Belgique. Passionnée de voyage, de mode et de beauté, je partage mes coups de coeur dénichés aux quatre coins du globe. En tant que rédactrice en chef digital, j'ai également à coeur de mettre en lumière les histoires inspirantes de femmes à travers notre site et sur nos réseaux sociaux.

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