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Oh ! pardon tu dormais… est son premier album très personnel depuis longtemps. Jane Birkin y aborde le décès de sa fille Kate Barry mais pas que ça. À 73 ans, cette icône absolue reste toujours merveilleusement touchante.
Jane, c’est le genre de femme qu’on a envie de prendre dans les bras quand elle évoque la mort de sa fille Kate, celle de Dolly, sa petite chienne qui lui avait bien tenu compagnie durant le lockdown ou ses retrouvailles avec sa fille, Charlotte Gainsbourg. Après l’interview, elle n’a pas manqué de me dire : « Embrassez Arno pour moi, si vous le voyez !»
Ce nouvel album est le mélange musical de votre pièce Oh! pardon tu dormais… et de nouveaux morceaux. Qui en a eu l’idée ?
C’est Étienne Daho qui me courait après depuis vingt ans pour pouvoir utiliser le texte de cette pièce pour en faire un disque. Ce n’était jamais le moment opportun. Après la mort de ma fille Kate, je n’étais bonne à rien. Je n’étais bonne qu’à chanter Gainsbourg et je l’ai fait avec un orchestre philharmonique. Il me semblait que je ne pouvais pas faire mieux pour lui. Après trois ans de Gainsbourg Symphonique, Étienne a réitéré sa proposition que j’ai acceptée gaiement. J’ai foncé chez lui avec deux textes que j’avais écrits sur Kate. Il a composé une musique un peu à la Kurt Weill. Puis, j’ai donné un autre texte à propos d’un cimetière qui est devenu la chanson Les murs épais. Et notre collaboration a démarré. Les mots sont venus rapidement. Tout cet enthousiasme vient d’Étienne.
En fait, il vous a aidée artistiquement et fraternellement.
Je crois qu’on est assez similaires. Enfin, il me connaît mieux que je ne le connais. Il m’a semblé que nous partagions les mêmes préoccupations et les mêmes craintes. Cela a été très facile de faire cet album.
Que vous sachiez écrire des chansons, ce n’est pas quelque chose que vous avez souvent mis en avant.
J’avais écrit tout un album en 2008, Enfants d’hiver, mais il était peut-être trop nostalgique pour le public qui l’a boudé. Et je crois qu’il n’a plu qu’à moi. Par contre, je savais que j’écrivais bien les monologues. Et j’avais écrit sur une musique de Serge
Yesterday Yes A Day.
Votre amour maternel est absolument immense. Je me disais qu’on pourrait faire un film rien que sur ce lien qui vous unit à vos filles.
(Large sourire.) Oui! C’est fantastique à tous moments. Charlotte était partie, il y a six ans, pour New York avec ses enfants, ce qui laissait un grand vide. Du coup, Marlowe, le fils de Lou, n’avait plus sa cousine près de lui. Les enfants ne se regroupaient plus de la même manière. Et moi, je ne pouvais pas me rendre à New York parce que j’étais malade (elle a combattu la leucémie, ndlr). Heureusement, il lui arrivait de revenir à Paris de temps en temps. Là, je viens de passer une semaine avec elle car elle a décidé de réaliser un documentaire sur moi. Elle l’a commencé, il y a trois ans. Je trouvais ça un peu effrayant. Et en fait, c’est d’une grande
douceur et cela permet de dire les choses qu’on n’a pas su dire. Tout prend sa place. C’est un enchantement d’être avec elle. Avec Lou, j’ai souvent eu cette complicité. Ma fille Kate venait souvent chez moi avec son fiancé, les enfants, les chiens, les chats
et son perroquet. Mais un tête-à-tête avec Charlotte me manquait.
Ce qui est touchant dans la chanson où vous évoquez la mort de Kate, c’est que vous parlez aussi des animaux et des objets qui l’entouraient. Et c’est vrai que lorsqu’un être cher décède, c’est tout un monde qui disparaît avec lui.
Oui, c’est vrai, c’est très réaliste. Et puis, je me rends compte que je dois admettre l’avoir eue pendant quarante-sept ans. Quarante-sept ans à côté de quelqu’un d’aussi original et drôle. C’était si gai de revenir de voyages avec des objets qui lui faisaient plaisir. Cette complicité qui était la nôtre venait, sans doute, du fait que je l’ai eue à 20 ans. Donc, toutes mes aventures et mes mésaventures en France, Kate a toujours vécu cela avec moi. Le fils de mon frère, lui, est mort à 20 ans. Et je me suis rendu compte que beaucoup de parents avaient connu ça. L’auteur de Peter Pan, J. M. Barrie, l’a écrit parce que sa mère avait perdu un autre enfant et qu’il voulait être comme celui-là, toujours un enfant ans le cœur de sa mère, ne jamais grandir. Lorsque je parle de ça avec certaines personnes qui ont connu cette douloureuse expérience, souvent elles me disent que c’était une chose qu’on taisait. On découpait même le visage de la personne sur les photos de groupe pour qu’il n’y ait pas de rappel. Dans ces grands bouleversements, les gens se démerdent comme ils peuvent.
N’est-ce pas un peu bizarre une culture où on ne pourrait pas parler de la mort des proches ?
Oui et en même temps, parfois on parle plus des personnes qu’on a perdues que de celles qui sont encore là. Parce qu’on craint tellement qu’elles soient oubliées qu’on les mentionne tout le temps. Et ceux qui restent ont l’impression de ne pouvoir atteindre leur niveau. Donc, il faut aussi penser à ceux qui restent. Et là-dessus, j’aurais pu faire mieux.
Quel est votre avis sur le mouvement #MeToo et le fait qu’il n’ait pas encore vraiment gagné le milieu de la musique ?
Je n’ai pas vraiment d’avis et aucune dénonciation à faire. Rien ne m’est arrivé. Peut-être parce que j’étais si visiblement avec quelqu’un (Serge Gainsbourg, ndlr). Mais grâce à ce mouvement, les filles qui ne peuvent pas se protéger ont la possibilité de crier au secours. Il y a un corps de femme derrière ça. La différence aura lieu quand on sera payées pareil que les hommes. Sur le fait des maltraitances, je n’ai pas eu à me plaindre, mais il faut défendre les autres.
Oh ! pardon tu dormais…, Jane Birkin, Universal Music, 2020.
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