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10 h 51. Alicia scrute son écran, à l’affût du moindre commentaire suite à son dernier post. À 14 ans, elle est devenue une virtuose de la communication 2.0, au point de s’être construit un double idéalisé qui ressemble à celle qu’elle aimerait vraiment être. « Cette Alicia-là est parfaite. Quand je vois le nombre de likes que je reçois par jour, ça me motive à être encore plus belle, plus mince et plus sexy ! » Quitte à tricher un peu, beaucoup et potentiellement à la folie. « J’adore les filtres ! Je gomme mon acné, je retravaille l’ovale de mon visage et je retouche mes cuisses… Mon rêve, c’est une bouche plus pulpeuse, tout le monde le fait, c’est une toute petite piqûre. »
Si son témoignage a de quoi interpeller, il correspond pourtant à des comportements bien ancrés chez les jeunes internautes belges. Une récente enquête menée par Dove sur les conséquences des réseaux sociaux sur l’estime de soi chez les filles de 10 à 15 ans, et qui vise à promouvoir l’éducation autour de ce thème depuis de nombreuses années, montre qu’elles ont… 10,4 ans en moyenne quand elles utilisent pour la première fois un filtre pour modifier leur apparence. À peine 1 fille sur 5 publie une photo non retouchée d’elle-même. Les conclusions de l’enquête sont sans appel :
Plus les jeunes filles grandissent ou plus elles passent de temps sur les réseaux sociaux, plus leur amour-propre se dégrade.
Si à 10 ans, 3 petites filles sur 4 aiment leur reflet dans le miroir, elles ne sont déjà plus que 1 sur 3 à 13 ans. Pire, entre 13 et 15 ans, 1 fille sur 3 a honte de son apparence. Des chiffres qui ont de quoi sérieusement inquiéter, mais qui n’étonnent pas les spécialistes. «Chaque individu se bâtit en trois phases : l’image de soi, la connaissance de soi et l’amour de soi. Les réseaux sociaux permettent de modifier ce processus sans avoir encore pu développer les deux dernières étapes. On est loin d’être construit à 10 ans à peine… Pour jouer avec son image, il faut de la maturité et être conscient qu’il s’agit d’une mise en scène. Instagram, TikTok, Facebook… ce sont davantage des outils de marketing et de design de soi que de réelle communication. On y crée un soi sur mesure, sorte d’avatar fabriqué de toutes pièces, avec plus ou moins de vrai dedans », constate le Belge Bruno Humbeeck, psychopédagogue et auteur de L’estime de soi pour aider à grandir (paru aux éd. Mols.)
Une pression extrêmement genrée
« L’émergence des réseaux sociaux et leur omniprésence dans la vie quotidienne à un âge bien trop précoce contribuent à accentuer de façon drastique les injonctions à correspondre à une image stéréotypée chez les
petites filles. Au lieu de jouer avec une Barbie, relation qui permet de distinguer la poupée de soi et du réel, on devient sa propre Barbie. La mésestime de soi prend des proportions inquiétantes, sous prétexte qu’on n’est pas suffisamment suivie, likée ou aimée par sa communauté. C’est comme si on ne pouvait plus vivre sans être validé par le regard des autres », ajoute le spécialiste. Un constat identique fait un peu partout dans le monde et qui alerte sur l’impact colossal des réseaux sociaux. « Bien que certains aspects puissent favoriser le contact et le bien-être, des dizaines de recherches scientifiques ont démontré, ces dernières années, qu’ils peuvent influencer négative ment la confiance en soi, l’humeur et l’estime de soi. C’est le cas lorsque les utilisateurs passent beaucoup de temps à publier des selfies, à utiliser des applis de retouche et des filtres pour changer leur apparence, à se comparer aux autres et à obtenir une validation par le biais de commentaires et de likes. Il est donc absolument indispensable d’aider les jeunes à développer des aptitudes leur permettant de naviguer sur les réseaux sociaux de manière saine et productive », insiste la Professeure Philippa Diedrichs, psychologue-chercheuse au Center for Appearance (University of the West of England) et experte en image corporelle.
C’est comme si on ne pouvait plus vivre sans être validé par le regard des autres.
Casser le diktat de la fille parfaite
L’humoriste, comédienne et animatrice télé Cécile Djunga, porte-parole de la thématique pour Dove, est particulièrementsensibilisée par la dégradation de l’estime de soi à travers les réseaux sociaux. « J’y ai moi-même été victime de cyberharcèlement et de propos racistes, je sais à quel point ils peuvent malheureusement détruire l’amour propre et la confiance en soi, bases de la construction de soi. Les réseaux sociaux sont
un formidable outil, à condition de savoir les utiliser et d’avoir le recul nécessaire sur l’image que l’on a de soi, celle que l’on veut donner et celle que les autres ont de vous. Les chiffres de l’enquête Dove sont glaçants, mais ce qui me rassure, c’est l’évolution des profils des influenceuses, qui osent de plus en plus briser les codes : filles XXL, racisées, androgynes ou porteuses d’un handicap, ce sont des modèles inspirants beaucoup moins lisses qui cassent le diktat de la fille parfaite, trop véhiculée sur les réseaux sociaux. Par jeu, j’ai posté un jour des photos avant-après, 100 % nature puis retouchées… Le résultat est bluffant : en quelques minutes, vous êtes une autre ! », se désole la trentenaire.
Sonnette d’alarme également tirée par Bruno Humbeeck, qui rappelle l’importance des éducations parentale et scolaire à l’utilisation des réseaux sociaux. « Le danger de cette image sublimée de soi que l’on souhaite renvoyer est qu’elle devient la préoccupation centrale de la petite fille, voire une quête obsessionnelle pour laquelle elle est prête à tout, même à ne pas être appréciée pour ce qu’elle est vraiment. Or, apprendre à s’aimer soi-même, c’est accepter ses insuffisances. Le besoin de reconnaissance devient sans limite et peut conduire à une déprime, une dépression ou pire chez ces êtres fragilisés par leur très jeune âge », alerte le psychopédagogue.
De précieux conseils
Mise en garde d’autant plus pertinente quand on sait qu’une fille de 13 ans a besoin de neuf minutes pour se préparer à prendre un selfie. Caroline, maman de Violette, 12 ans, s’en inquiète. « On ne peut plus prendre aucune photo d’elle de manière spontanée. Tout est étudié, rien n’est plus jamais naturel. Ma fille est fortement influencée par des inconnues auxquelles elle cherche à s’identifier, c’est malsain et nous avons dû intervenir drastiquement. » Idem chez Martin et Vivienne, parents d’Agathe, 13 ans, qui fait des crises d’angoisse quand elle n’est pas suffisamment likée. « Aujourd’hui, j’ai eu un seul cœur et trois garçons de l’école se sont moqués de ma coiffure. »
Comme Violette, une jeune fille prend en moyenne 8,5 selfies avant d’en trouver un digne d’être partagé. Tatyana Beloy, actrice et présentatrice belge, autre porte-parole pour Dove, met en garde. « Vouloir changer son apparence aussi jeune et y travailler, c’est un cercle vicieux. Nous le faisons toutes, un filtre ne peut pas faire de mal… sauf qu’une enfant n’est pas à même de bien faire la différence entre le réel et les réseaux sociaux. Je suis moi-même très attentive à ma propre image. Se faire maquiller pour une séance photo est normal, mais récemment, j’ai été tellement photoshopée après un shooting que je ne me reconnaissais plus. Dans ce cas, il est nécessaire de mettre le frein ! Quant aux commentaires sur les réseaux sociaux, personne n’aime évidemment être critiqué. Sur mon profil Instagram, chacun peut bien sûr exprimer son opinion, mais il n’y a pas de place pour la haine. Les réactions constructives sont les bienvenues, mais tout doit être fait dans le respect. Un des aspects vraiment intéressant des médias sociaux est la facilité avec laquelle vous pouvez partager de précieux conseils. Par exemple, lorsque je crée un lien vers les outils du projet d’estime de soi Dove dans mes stories IG, 70 000 personnes peuvent télécharger gratuitement des cours et des informations pour aider les jeunes, c’est génial ! »
En collaboration avec le Centre for Appearance Research – le plus grand groupe de recherche au monde consacré au rôle de l’apparence et de l’image corporelle dans la vie des gens, le projet Dove pour l’estime de soi a développé divers outils éducatifs. Les ateliers, articles en ligne et ressources éducatives ont été validés académiquement et sont mis à la disposition des écoles, enseignants, éducateurs, parents, etc. Le centre de connaissances belge Pimento fera la promotion de ces outils auprès des écoles et des enseignants de l’ensemble du pays afin de faire profiter directement les jeunes de ces ateliers*. « Ça devrait être obligatoire à
l’école. Avant, je pensais que tout ce que je voyais sur les réseaux sociaux était vrai », confie Chloé, 12 ans. La vérité sort de la bouche des enfants…
*Ateliers scolaires et toutes les infos sur dove.com/be/fr/dove-self-esteem-project.html