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Ils ressemblent à s’y méprendre aux modèles dont ils s’inspirent et cartonnent aussi bien dans la rue que sur les réseaux sociaux. Des imitations low cost à la limite des contrefaçons et qui permettent un look pointu sans se ruiner, au grand dam de l’industrie du luxe.
Total look denim et trench Burberry flambant neuf, Delphine, 34 ans, n’est pas peu fière de son dernier cadeau de Noël. « J’en ai toujours rêvé, j’ai enfin pu me l’offrir grâce à une cagnotte que j’ai commencée pour mes anniversaires et chaque fête depuis 2023. Une vraie belle pièce intemporelle », sourit cette médiatrice culturelle qui avoue pourtant souvent tricher avec la mode. « Je suis accro aux dupes, ce trench est une de mes rares pièces qui ne soit pas une imitation, la preuve avec mon Wirkin, reproduction plutôt bluffante du Birkin d’Hermès, absolument impayable ».
Il faut dire qu’à 100 euros au lieu de plusieurs milliers, Delphine n’a pas eu de scrupules quand sa meilleure amie qui vit aux États-Unis lui a proposé de lui en acheter un chez Walmart, chaîne de supermarchés américaine qui l’a depuis retiré de ses ventes, à la grande déception de ses copines. Carton plein pour ce modèle plébiscité sur les réseaux sociaux, Tik Tok en tête, les produits ressemblant comme deux gouttes d’eau à leur version luxe étant la nouvelle tendance suivie sans modération par de nombreux internautes, dont la génération Z, particulièrement adepte de ce nouveau consumérisme qui fait trembler les marques haut de gamme.
Les « dupes » (diminutif du mot anglais « duplicate ») ont en effet de quoi attirer les férus de mode qui n’ont pas l’envie et/ou les moyens de se ruiner régulièrement pour afficher un look pointu. Des répliques sans nom ni logo qui ne visent pas à tromper le consommateur : il sait pertinemment qu’il achète une imitation qui fait illusion, qu’il revendique et assume. « Ma génération était davantage friande de contrefaçons, fière de (se) faire croire qu’elle avait les moyens d’un sac Dior ou de lunettes Prada. Celle de ma fille de 24 ans, au contraire, adore l’idée de copie inspirée d’un it-bag, par exemple. D’ailleurs, elle n’hésite pas à me dire que mes faux qu’elle a retrouvés à la cave, c’était vraiment la honte. C’est la différence entre elle et moi quand j’avais son âge, je trichais avec des imitations grossières, alors qu’elle annonce clairement la couleur : son parfum, son sac et sa petite veste ressemblent à s’y méprendre à des pièces Chanel alors qu’elle est fière de dire qu’elle les a trouvés à prix modique dans des enseignes de fast fashion », explique Cyriane, 49 ans.
Quand la génération Z dit non à la marque, mais oui au look
70 % des consommateurs de la génération Z considèrent d’ailleurs qu’il est plus important d’avoir accès à un produit esthétique qu’à une marque renommée (1). Un phénomène évidemment amplifié par les réseaux sociaux et qui touche toutes les générations, le contexte économique n’étant pas étranger à cette nouvelle façon de consommer.
45 % des acheteurs ont déclaré avoir découvert un produit « dupe » grâce à des influenceurs (2). « C’est une consommation raisonnée qui me plaît, je peux me faire plaisir régulièrement à des prix démocratiques, sans jouer le jeu des grandes marques. Pour moi, la mode est avant tout ludique, ça ne doit pas être un sacrifice financier mais une source d’épanouissement personnel. Je suis hyper in avec un budget mensuel de 150 euros max », témoigne Élise, 27 ans, notamment férue des « dupes » Zara sur Instagram.
Des comportements de masse qui n’étonnent pas la psychiatre belge Caroline Depuydt, qui voit notamment une prise de conscience collective réelle dans cette tendance à consommer autrement. « Nous vivons dans une société qui est lucide sur ses limites. Elle se responsabilise et fait des choix, qu’ils soient purement financiers, le seul objectif étant de gérer au mieux son budget, ou éco-conscients, en refusant de cautionner l’industrie de la mode polluante et souvent excluante. En cela, la démarche est intéressante car elle vise à gommer les différences et à démocratiser la fashion sphère. Les réseaux sociaux banalisent les achats de ‘ dupes ’ et les légitimisent, certains contenus étant viraux », explique la spécialiste.
Le journal La Dépêche rappelait en janvier dernier que le hashtag #dupe avait généré pas moins de 2,8 milliards de vues sur TikTok. Quant au hashtag #dupechallenge (près de 60 millions de vues), qui consiste à se rendre dans de grandes enseignes à la recherche des meilleurs dupes, il fédère des millions d’internautes autour du même défi, sans faire de concession pour autant à un look qui se veut à la pointe.
Revers de la médaille ? Créer une nouvelle injonction, voire une norme, en croyant déjouer celles de l’univers du luxe. « Prôner les ‘dupes’ peut aussi devenir une posture illusoire, qui vous fait croire que vous êtes indépendant dans vos choix, mais à votre insu ou non, vous encouragez aussi la fast fashion, en effet bien plus abordable pour un dressing au faîte des dernières tendances, mais réellement impactant sur le plan éthique et humain. Vous pensez ne pas faire le jeu de l’univers du luxe, mais vous faites quand même celui du prêt-à-jeter, et en pensant sortir du moule, vous en créez un autre. Car il ne faut pas se leurrer, beaucoup de duplicatas sont issus d’enseignes low cost », constate la psychiatre.
Imitations ou contrefaçons ? La frontière floue du phénomène des dupes
Un jeu de dupes qui a démarré en Chine, avec la tendance du bien nommé Pintgi (du mandarin « leurre »), ces imitations qui portent très bien leur nom et flirtent parfois avec les limites du monde des faux, en choisissant par exemple les matières nobles identiques au modèle dont elles s’inspirent largement, loin des vulgaires copies qui avaient la cote voici une décennie encore.
Une tendance qui a déboulé en Europe et déstabilise les grands labels mondiaux, conscients du danger face à la perte de clientèle suite à l’essor de ces répliques qui connaissent un engouement sans précédent. Certaines ayant cependant un destin avorté, la frontière avec la contrefaçon étant parfois franchie, on se souvient notamment de la victoire de Chanel face à Jonak, condamné pour parasitisme sur le modèle culte de la Slingback imaginée par Gabrielle en 1957.
Des produits parfois presque parfaits qui interpellent aussi bien l’industrie du luxe que les consommateurs, mais rappellent aussi à quel point, quelle que soit la génération, avoir reste synonyme d’être. « Encore plus chez les ados ou les jeunes adultes, qui ont besoin d’être validés dans le regard des autres pour se sentir appartenir au groupe de leurs pairs. Je maîtrise les codes du luxe, mais je les détourne grâce aux ‘ dupes ’, car je veux quand même ressembler aux autres, grâce à des produits qui font illusion, du moins de loin. Le succès de certaines enseignes d’ultra fast fashion montre à quel point une grande partie des consommateurs n’est pas affranchie de cette envie de posséder, qui reste, dans l’imaginaire collectif, un signe de réussite », renchérit Caroline Depuydt.
Cela dit, la spécialiste rappelle qu’il faut nuancer, certains adeptes des imitations se veulent réellement acteur d’un vrai changement, choisir des leurres est à leurs yeux une façon de se rebeller contre la cherté et la vanité d’une certaine mode. Pour rappel, chaque année en Belgique, 10 kg de vêtements sont jetés par habitant (3).
Repenser sa relation au shopping
Consommer moins, mieux, plus local, en favorisant des productions européennes, voire ne plus rien acheter du tout, à l’instar des afficionados du défi No buy 2025, nouveau credo qui fait des émules, même chez ceux qui au départ étaient moins convaincus. « Il y a eu l’achat de trop. Un énième sac à 3.200 euros qui m’a rendue euphorique pendant quelques jours, une joie éphémère et impulsive, raillée par la réaction de ma meilleure amie qui avait déniché son quasi jumeau sans logo, dans un cuir magnifique, j’étais bluffée et ça a été mon déclic. J’ai décidé de ne plus opter que pour des ‘dupes’, mais de grande qualité et pas dans n’importe quelle enseigne bas de gamme. Puis je suis passée à un cran supérieur en me lançant le défi de ne rien acheter en 2025. Trier, ranger, vendre, donner et surtout, porter ce que j’ai, au lieu d’accumuler frénétiquement. Mon copain me soutient à 100 % dans ma démarche, je suis ‘shopping abstinente’ depuis le 1er janvier. Et pour être totalement cohérente, j’investirai l’argent économisé dans des vacances ‘dupes’ ! », sourit la trentenaire plutôt fière d’elle.
Expedia, Abritel et hotels.com avaient d’ailleurs listé les pays et villes « répliques » à ne pas louper l’année dernière : des destinations de substitution aussi attrayantes que les grands classiques, moins bondées et moins onéreuses, comme Taipei au lieu de Séoul, Paros au lieu de Santorin, Liverpool au lieu de Londres ou encore Palerme au lieu de Lisbonne, par exemple. Une envie généralisée de dépenser moins, par mimétisme ou par conviction, c’est selon. À bon entendeur…
(1)Étude McKinsey 2022 (2)Étude de Statista 2023 (3)Fédération des entreprises sociales et circulaires.