CorpsCools : le compte Instagram qui lutte contre la grossophobie
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CorpsCools : le compte Instagram qui lutte contre la grossophobie

Par Irène Sulmont
Temps de lecture: 4 min

Dans une société obsédée par le diktat de la minceur, une militante, que nous appellerons P.*, a décidé de créer le compte Instagram "CorpsCools". L'objectif initial était de répertorier références et travaux artistiques relatifs aux violences contre les personnes grosses. Aujourd'hui, son compte est suivi par plus de 26 000 abonnés. Rencontre avec une activiste décidée à déconstruire les normes corporelles.

(NDLR : La « grossophobie » est un terme qui est né aux États-Unis dans les années 1960. Il désigne l’ensemble des comportements hostiles et discriminants envers les personnes grosses.)

Depuis toujours, P.* se renseigne sur les dynamiques de lutte contre la grossophobie. Frustrée de constater que le sujet est peu abordé dans les médias, elle désire faire évoluer les choses. Alors, il y a approximativement deux ans, elle créée une bibliothèque de « choses cools » visant à déconstruire le regard posé sur les personnes grosses. Le projet rencontre un grand succès… Et c’est le départ de son ASBL FatFriendlyAsbl visant à mettre en place des actions concrètes pour simplifier la vie des personnes grosses.

* La personne concernée souhaite conserver son anonymat.

 

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Entretien avec la créatrice du compte @CorpsCool

Pourquoi le sens des mots (« gros », « obèse », « surpoids »…) est-il important pour toi ?

Le fait d’employer le terme « obèse » et de parler de maladie, ça soulage les personnes grosses. On leur dit tellement qu’elles sont responsables de ce qu’elles sont, que lorsqu’un soignant leur dit que c’est une maladie (qu’elles sont irresponsables) elles sont soulagées. Je ne leur en veux pas, je comprends qu’elles ressentent ça. Mais pour moi la grosseur n’est pas une maladie par essence. Il y a des corps gros en bonne santé et des corps minces en mauvaise santé. Je suis persuadée que les violences grossophobes existent et sont banalisées parce qu’elles sont perpétuées et légitimées par le monde scientifique.

 

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Le mot « gros » est associé à une insulte. Ce n’est pas normal !

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Pourquoi as-tu lancé ton ASBL FatFriendly ?

Initialement, c’est parti du projet de faire une cartographie de l’accessibilité des espaces publics aux personnes grosses. On s’est réunies à trois pour ce projet qui a bien fonctionné. On est désormais sept membres ! J’avais envie de faire un truc par les personnes grosses, pour les personnes grosses. En ce moment, il y a trois grands projets dans l’ASBL. Le premier, c’est la cartographie de l’accessibilité des espaces publics. Ensuite, on fait une étude sur la représentation des personnes grosses dans le cinéma. Enfin, des formations pour la prise en charge des corps gros dans le monde médical.

Pourquoi est-ce nécessaire de cartographier l’accessibilité des espaces publics ?

Une des réalités des personnes grosses est que le monde leur est hostile. Elles ne sortent plus et s’ancrent dans une sédentarité. Aujourd’hui en Belgique, les personnes très grosses (« obèses ») représentent 24,7% de la population. Où sont-elles ? Lorsqu’on va dans les bars ou dans les spectacles, elles ne sont pas là. Alors, on a fait une campagne de financement pour développer un outil de cartographie. Toute personne grosse pourra référencer l’accessibilité concrète d’un lieu (par exemple, celle des sièges ou des toilettes).

 

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En quoi les représentations des personnes grosses sont-elles sont vitales ?

Oui, les représentations sont vitales. J’ai grandi dans les années 1990 en pensant que j’étais la seule personne au monde à être grosse. Aujourd’hui, dans mon feed Instagram, je n’ai que des comptes militants de personnes grosses. À force de voir des corps gros, mon regard s’est transformé. Si ça fonctionne avec moi, ça peut marcher pour d’autres personnes ! Les corps gros sont souvent associés à un imaginaire (méchants, gentils, personnes qui veulent maigrir…) Il faut des représentations positives et chouettes. C’est important pour pouvoir s’identifier.

 

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Pourquoi c’est important de sensibiliser le corps médical aux personnes grosses ?

Il y a des violences médicales envers les femmes grosses. Par exemple, elles ont plus de risque de mourir d’un cancer du sein ou du col de l’utérus parce qu’elles ne consultent pas. L’objectif est de créer des formations pour la prise en charge des corps gros dans le milieu médical.

 

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Quels ont-été les retours sur ton travail ?

Sur Internet, le mauvais prend toujours plus de place que le bon alors qu’il est minoritaire. Je reçois beaucoup de messages de gens très positifs et bienveillants. Les gens me remercient, me disent que ça fait changer les choses pour eux. Il y a derrière deux ans de travail, de partages, de réflexions, à prendre du temps à déconstruire les choses. Après, on reçoit de la violence et je pense que c’est lié au militantisme. Certaines personnes grosses, par exemple, ont tellement intériorisé la grossophobie qu’elles refusent certains discours.

 

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Quel lien existe t-il entre grossophobie et les autres luttes (validisme, féminisme…) ?

La grossophobie est une lutte en soi. Malheureusement les oppressions se cumulent. Donc on peut être à l’intersection de certaines et vivre sexisme et grossophobie ou encore racisme, par exemple. Les femmes grosses sont quatre fois plus discriminées à l’embauche. Aussi, l’IMC (NDLR : Indice de Masse Corporel est une grandeur qui permet d’estimer la corpulence d’une personne. Il a été inventé au milieu du 19e siècle) a été théorisé pour être utilisé à l’échelle de population (pas l’échelle individuelle). Et puis il ne prend pas en compte la masse musculaire, la morphologie, la position de la graisse sur le corps. Puis le fait que l’espace public ne soit pas adapté pour des corps non-normés renvoie directement au validisme (soit, les discriminations basées sur le handicap).

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Une démarche engagée

« Je pense que dire à une personne grosse de maigrir par bienveillance est une violence parce que c’est absurde. Être violent avec quelqu’un, ce n’est jamais être bienveillant » conclut-elle. La grossophobie regroupe des discriminations dans plusieurs domaines de la vie (accès à l’emploi, aux soins médicaux ou aux espaces publics). Si le chemin reste long, la démarche de P. amène à questionner nos propres regards… pour une société plus juste et bienveillante.

 

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Tags: Féminisime.