Déclin de la fertilité : allons-nous vers le baby crash ?
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Déclin de la fertilité : allons-nous vers le baby crash ?

Par Aurélia Dejond
Temps de lecture: 6 min

Parce qu’enfanter ne va pas nécessairement de soi, la natalité chute drastiquement, en Belgique comme ailleurs en Europe et dans le monde. Malgré un contexte de crise sanitaire, écologique et économique qui peine à rassurer les futurs parents, il semble que beaucoup aimeraient pourtant davantage d’enfants qu’ils n’en ont.

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Aujourd’hui, c’est le grand jour. Stéphanie, 33 ans, va annoncer à Léopold qu’elle est enceinte. Elle appréhende sa réaction : le bébé n’était pas prévu. « C’est un peu tôt. J’aurais aimé me réaliser davantage sur le plan personnel et avoir la perspective d’une certaine stabilité financière, mais le destin en a décidé autrement ! » D’ailleurs, cette entrepreneure bruxelloise ne se rêvait pas maman. Comme ses amies d’enfance, Léna, 30 ans et Julie, 31 ans, elle ne s’est jamais réellement projetée. « Déjà ados, on avait peur pour l’avenir de nos parents, aujourd’hui, le contexte nous paraît encore plus sombre. Le réchauffement climatique, les diplômes qui ne garantissent plus un emploi, l’immobilier impayable…s’imaginer avec une ribambelle d’enfants dans ces conditions est compliqué. On est une génération lucide, on ne connaît pas l’insouciance », regrette la jeune femme.

La baisse du taux de natalité est d’ailleurs significative en Belgique (1,55 enfant en moyenne par femme), même si le pays reste moins touché que certains de ses voisins. Selon Eurostat, la population de l’Union européenne diminuerait de près de 4 %, soit 20 millions de personnes, entre 2018 et 2100. L’indice de fécondité en Europe n’était que de 1,53 en 2021, dont une baisse massive en Espagne et en Italie, notamment, où le taux de natalité est tombé à seulement 1,19 et 1,25 en 2021. Chez nous, l’âge moyen d’une mère, à la naissance de on premier enfant, est de 29 ans.

On se souvient de la polémique provoquée par les propos d’Emmanuel Macron en janvier dernier : le Président tirait la sonnette d’alarme sur la dénatalité et n’a pas hésité à brandir des mesures visant à un « réarmement démographique », le taux de naissances étant historiquement bas dans l’Hexagone, même si le pays reste le plus fécond d’Europe. Tollé immédiat dans les milieux féministes, notamment, qui estiment que le corps des femmes n’est pas un enjeu national ni une arme de guerre, un débat qui s’est également invité en Belgique.

« L’émancipation des femmes passe par le droit de disposer librement de leur corps. L’exemple français, avec le projet de créer un nouveau congé de naissance, mieux rémunéré et qui peut durer jusqu’à six mois pour les deux parents, ainsi qu’un plan de lutte contre l’infertilité, qui toucherait beaucoup de couples, revient à politiser le corps des femmes et à les mettre au service du repeuplement d’un pays », résume Eleonora Voltolina, journaliste, rédactrice en chef de Journalism for Social Change et entrepreneure sociale, fondatrice de The Why Wait Agenda*, initiative qui vise à réduire l’écart entre le nombre d’enfants désirés et le nombre d’enfants effectivement mis au monde. « Nous souhaitons nous attaquer au fait que les gens ont moins d’enfants qu’ils n’en désirent. En moyenne, ils en voudraient deux, mais finissent par en avoir moins. Cela dit, tous n’en veulent pas », constate la féministe. En Belgique, la dernière étude de la VUB montrait que de 2010 à 2019, le pays a enregistré une baisse de 11 % de la fécondité. 13 % des sondés n’étaient pas du tout tentés par la parentalité : 16 % des hommes belges entre 25 et 35 ans ne veulent pas avoir d’enfants, c’est plus du double de la moyenne européenne (7 %) et 7 % des femmes de la même tranche d’âge ne souhaitent pas procréer (contre 3 % en Europe), le Royaume étant donc au-dessus des statistiques, par rapport aux autres pays européens. « Plusieurs facteurs peuvent favoriser ou entraver le choix de fonder une famille, comme la situation économique et professionnelle, l’égalité au sein du couple, l’infertilité, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, renforçant ou réduisant ainsi l’écart de fécondité », constate Eleonora Voltolina. L’étude de la VUB pointe l’inquiétude de ne pas avoir une situation idéale sur les plans professionnel et financier, notamment. Et même avec des conditions optimales, le taux de ceux qui ne souhaitent pas de bébé reste à 6 %. « Victor et moi ne souhaitons pas d’enfant. La covid-19 nous a encore plus fait réfléchir et même si nous menons une existence confortable, ce serait un choix égoïste, les inconnues quant à la qualité de vie d’un futur être humain sont bien trop grandes », confie Émilie, 35 ans. Johan, son meilleur ami, en a décidé autrement. « J’ai toujours rêvé d’une famille nombreuse. Je suis papa de Cloé et Hugo depuis trois ans et ma compagne est à nouveau enceinte, Jules est prévu pour cet été. On a peur, évidemment. Mais je ne veux pas que nos chemins de vies soient dictés par une société en crise ». À 38 ans, cet informaticien indépendant revendique le droit de prendre la décision sans entrave.

Avoir un enfant
ou non devrait
être un choix,
chacun devrait
pouvoir disposer
pleinement de son
droit reproductif.

Eleonora Voltolina, journaliste et entrepreneure sociale

Et c’est cette liberté de choix qu’Éleonora Voltolina souhaite soutenir en plaidant un « pledge », un engagement à agir pour réduire l’écart de fécondité, lancé en janvier au Parlement européen à Bruxelles par The Why Wait Agenda. « Il ne s’agit pas de convaincre qui que ce soit d’avoir des enfants, ou davantage d’enfants. Nous voulons simplement créer les conditions pour que chacun soit libre d’avoir le nombre de bébés qu’il souhaite, s’il en souhaite, car trop de gens sont obligés de reporter la parentalité. D’où le nom de l’initiative The Why Wait Agenda, ‘Why Wait ?’, « pourquoi attendre », en raison de facteurs externes.

Les institutions européennes doivent faire preuve de leadership en faisant du fertility gap une priorité dans les domaines de la santé, du marché du travail et de l’égalité des sexes ». D’autant que derrière cette dénatalité généralisée dans le monde, pointe le spectre d’une population vieillissante, avec un défi majeur sous-jacent pour chaque nation : atteindre le bon équilibre pour continuer à financer le système des pensions. Une perspective qui s’apparente au chantage, selon beaucoup de féministes, comme Carine, 36 ans, qui considère que les politiques natalistes sont contraires à l’autonomie des femmes, partout dans le monde.

Aujourd’hui, la dénatalité touche les pays pauvres et émergents, au même titre que les pays riches, comme le rappelait Marie Vandresse, démographe et économiste au Bureau fédéral du Plan, au micro de BEL RTL le 23 janvier dernier. « On a progressivement moins de personnes d’âge actif pour soutenir la population de 65-67 ans et plus (…). C’est l’effet papyboom, les générations nées après la Seconde guerre mondiale sont toutes aujourd’hui dans les 67 ans et plus. Dans les 20 prochaines années, on aura une population avec moins d’enfants et plus de personnes âgées, il y aura moins de personnes en âge de travailler et donc moins de gens pour financer les pensions. »

Une réalité qui est loin d’être genrée. « Pour parvenir à l’égalité des sexes, nous devons considérer les enfants comme une responsabilité partagée, à l’intérieur et à l’extérieur de la famille. Je prône une société plus inclusive et égalitaire, à commencer par la parentalité. La baisse de la fécondité n’est pas uniquement un problème de femmes », insiste Eleonora Voltolina. Et la hausse de la natalité passera certainement aussi par une égalité plus grande au sein de la parentalité même. Constat notamment corroboré par de nombreux démographes et sociologues : la fameuse « double journée » qui incombe encore majoritairement aux femmes, qui gèrent leur carrière ainsi que le travail domestique, reste un frein majeur pour beaucoup de celles qui désirent fonder une famille. Selon les chiffres du Parlement européen, d’ici 2050, l’âge moyen de l’Européen passera de 39 à 49 ans, avec pour conséquence une désorganisation socio-économique lourde, s’agissant des retraites, entre autres. Or, pour maintenir le système social, il faudrait que les femmes procréent en moyenne… 2,1 fois. « Si la femme reste biologiquement aux commandes de la reproduction, elle n’est ni responsable de la baisse démographique, et encore moins coupable. Enfanter n’est pas sa seule responsabilité, sauf si elle est célibataire. Dès qu’il y a couple, hétéro ou non, le nombre de facteurs qui empêchent ou ralentissent un projet de grossesse sont multiples. Cela va des problèmes de fertilité (selon l’OMS, une personne sur six en âge de procréer dans le monde est concernée) à la discrimination à l’égard des femmes sur le lieu de travail parce qu’elles sont potentiellement « à risque de maternité », en passant par les inégalités dans les activités de soins au sein de la famille, l’accès non inclusif à la procréation médicalement assistée, et bien d’autres. C’est contre ces obstacles capitaux que je souhaite me battre. Avoir un enfant ou non devrait être un choix, chacun devrait pouvoir disposer pleinement de son droit reproductif », conclut Eleonora Voltolina.

 

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Épicurieuse de nature, tête chercheuse en tous genres, shoes et books addict, collectionneuse des pancartes « Ne pas déranger ». Toujours à l’affût d’adresses décalées, de concepts atypiques et de rencontres inspirantes.

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