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Alors que le ciel est assombri au-dehors, Lukas Dhont arrive avec les couleurs d’un arc-en-ciel et un sourire qui chasse les nuages. Et pile à l’heure pour notre rendez-vous. Si vous avez aimé Girl, vous aimerez aussi Close, son nouveau long métrage. Il représentera la Belgique aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger le 12 mars prochain. C’est tout dire.
Vous présentez Close comme étant un film sur l’amitié. Mais c’est aussi un film sur le harcèlement scolaire.
Il y a des scènes de harcèlement scolaire mais peu. Je le vois plutôt comme le regard sur une société qui a des attentes à l’égard des jeunes, attentes liées aux normes sur la masculinité. C’est donc davantage un film sur la masculinité. Aujourd’hui, il y a un immense mouvement féministe nécessaire mais dans la presse, la masculinité est associée à quelque chose de toxique. Et au concept du patriarcat qui est, désormais, négativement connoté.
Mais moi, en tant qu’homme jeune, j’ai envie de voir un autre type de masculinité, d’ouvrir un dialogue sur ce thème et de me questionner sur ce qu’est un garçon qui grandit. Dans ce monde, apparemment, être un homme signifie être distant, indépendant, protéger son égo. Mais si c’est cela être un homme, jamais je ne me suis senti en être un. Cela ne signifie pas que je me considère comme non-binaire mais ce concept-là de la virilité, je ne l’ai jamais incorporé. En réalité, je me suis toujours senti plus proche du monde féminin. Un monde de douceur et de tendresse. Je voulais montrer une relation tendre entre deux jeunes êtres et comment l’idée de la performance masculine allait créer une rupture.
Léo et Rémy, les héros de ce film, sont innocents au sens premier du terme : ils ne savent pas. Cette innocence semble vous toucher.
Oui, en même temps, l’image de deux jeunes garçons dans un lit, le spectateur la sexualise. J’en suis conscient. Nous ne sommes pas habitués à la sensualité qui est la leur. On a plus l’habitude de voir des images d’hommes se combattant. Je voulais aussi parler de l’intimité et de l’amour au sens large. L’amour peut être multiple. Et à ce moment de leur vie, il ne porte pas encore un nom.
L’acteur qui tient le rôle de Léo est danseur tout comme l’est Viktor Polster, l’acteur de Girl. Auriez-vous aimé être danseur ?
Oui, quand le corps danse, cela peut prodiguer tellement de bonheur. En fait, avant de devenir réalisateur, j’ai voulu être danseur. Je pense que j’aurais essayé la danse contemporaine. Lors de mes études cinématographiques, j’étais toujours proche des chorégraphes. J’étais à côté de Jan Martens, quand il créait ses ballets, et dès que je l’ai pu, j’ai travaillé avec Sidi Larbi Cherkaoui. Être à leurs côtés m’a énormément appris. Je crois que j’écris mes scénarios comme, un chorégraphe.
Parce que vous visualisez les mouvements de vos interprètes ?
Oui, les mouvements et les contrastes des mouvements. Je les vois mieux que les dialogues qui me viennent moins naturellement.
Eden Dambrine, qui joue le jeune Léo, étudie la danse à l’Académie royale d’Anvers tout comme Viktor Polster. Est-ce un hasard ?
De la même façon que je me sens attiré par les danseurs et le monde de la danse, je pense que ce monde et ses danseurs viennent aisément à moi. Il existe une alchimie. Mais je ne crois pas au hasard. Je crois au destin.
Pour encadrer Eden Dambrine et Gustav De Waele, les jeunes héros de Close, vous avez casté Émilie Dequenne et Léa Drucker, deux splendides actrices très expérimentées qui, en plus, sont de belles personnes.
Avec des comédien.nes d’un certain niveau, on peut se demander pourquoi encore leur faire passer des castings. Mais si j’en fais, ce n’est pas pour me rendre compte qu’ils ou elles peuvent jouer ou pas. Je veux juste me rendre compte que la collaboration est possible et qu’il y a une sensibilité et une humanité que je recherche. Il m’importe de créer une intimité. Avec moi, les répétitions, c’est surtout passer du temps ensemble. J’organise des dîners chez moi, j’emmène mes acteurs et actrices à la mer. Et je leur demande d’investir de leur temps. Je ne répète rien. Je veux juste qu’on apprenne à se connaître. La notion du partage est
essentielle. Parce qu’après, ils seront devant la caméra et devront donner beaucoup.
“ J’écris mes scénarios comme un chorégraphe ”
Émilie Dequenne et Léa Drucker sont deux grandes actrices. D’ailleurs, d’après moi, Émilie est la Kate Winslet belge. Son talent est unique. Il englobe la nuance, la fragilité et aussi la possibilité de plonger dans un monde intérieur. Et elle possède une grande humilité. Quant à Léa Drucker, je l’avais découverte dans Jusqu’à la garde (ndlr : film pour lequel elle avait obtenu le César de la meilleure actrice en 2019). Dans ce rôle, elle m’avait bouleversé. Ensuite, je l’ai rencontrée et j’ai été impressionné par sa douceur. En fait, je recherche la douceur. Le plus souvent, pour qualifier performances des actrices comme des acteurs, on parle de rôles forts. Jamais, on ne dit : « C’est un rôle doux ! ». Je tombe amoureux de mes acteurs et actrices, dans un sens non sexuel, parce qu’il est nécessaire de les aimer pour les filmer.
C’est un grand classique chez les réalisateurs.
Chez moi, être amoureux se rapproche de l’admiration que j’éprouve pour ces comédien.nes.
À Cannes, pour la présentation de votre film et la montée des marches, vous portiez le costume en velours rouge Gucci rendu célèbre par Gwyneth Paltrow. Gwyneth est-elle votre icône de style ?
(Rires). Non, mais Tom Ford, qui a dessiné ce costume, oui. C’est un créateur de mode qui a énormément innové tant au niveau des collections que de la communication. Et c’est aussi un grand réalisateur de cinéma. A Single Man, qu’il a tourné avec Julianne Moore, est un chef-d’œuvre. Et même Nocturnal Animals que j’ai adoré à la deuxième vision. Quand j’ai vu ce costume chez Gucci, j’ai immédiatement vu le rouge, couleur que j’ai beaucoup travaillée dans ce film. C’est la couleur de la chambre de Rémy mais elle change de thèmes au fur et à mesure de l’intrigue, car c’est une couleur liée à l’amour mais à la mort aussi. Porter ce costume, à Cannes, c’était une manière de continuer le film. Et si non, qui le porte le mieux, Gwyneth ou moi ? (Rires).
À l’âge de trente et un ans, vous avez réalisé deux films qui, tous deux, ont été récompensés au Festival de Cannes. Cela vous donne-t-il des ailes ou au contraire, vous met une pression particulière ?
C’est un peu le mix des deux. Je sais pourquoi je fais des films : pour parler des choses dont longtemps, je n’ai pas pu parler. Enfant et adolescent, je n’ai rien dit. Je me suis contenté de copier les choses dites par les autres. J’ai copié leurs propos, leurs gestes… Maintenant, dans mes films, ce sont mes mots. Donc, je sais pourquoi je fais des films. Juste pour m’exprimer. Mais une fois que le film sort dans les salles, il devient le film des spectateurs. Et tout le monde regarde avec sa propre perspective. On peut aimer ou détester le même film. Quand je suis honoré par un prix, comme le Grand prix du jury pour Close, c’est un très beau moment. C’est une validation qui me touche profondément. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle je réalise des films. Lorsque je retourne à ma page blanche, dans mon bureau, cela me remet très vite les pieds sur terre. À chaque fois, je suis confronté à mes propres limites artistiques.
Quels sont les endroits que vous recommanderiez à Gand, votre ville ?
Trois de mes restaurants favoris, mais il faut me promettre de venir, alors, sont Revue, Oak et Café Congé. J’aime boire des cocktails au Jiggers. Je vais voir des films au Studio Skoop. Et pour la mode, je vais chez Rewind et NU.
Close, de Lukas Dhont, avec Émilie Dequenne, Léa Drucker, Eden Dambrine et Gustav De Wael, sorti le 2 novembre 2022.
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