Quand avez-vous su que vous vouliez devenir parfumeur?
« J’étais photographe. Ma mère est morte quand j’avais 24 ans et j’ai pu reprendre son labo. Il est apparu que j’avais un bon nez et la tête pleine d’idées, mais pas la capacité de rassembler le tout dans une formule. Isabelle Doyen a d’abord été l’assistante de ma mère, ensuite sa compagne et associée. Elle m’a appris à connaître les matières premières et à les assembler les senteurs. Nous collaborons encore ensemble aujourd’hui. Nous nous entendons et nous complétons parfaitement. Néanmoins je ne pense pas que je serais devenue parfumeur sans le décès de ma mère. »
Comment se sent-on quand on suit à ce point les traces de sa mère? Ressentiez-vous une certaine pression à devoir répondre à certaines attentes?
« Cela n’a jamais été un problème. Et je ne me compare pas à elle. Nous étions très différentes, même si nous travaillons plus ou moins de la même façon. j’essaie de faire mon travail le mieux possible et j’aime ce que je fais, cela me semble le plus important. Quant à la pression, c’est surtout moi qui me l’impose. Mais si j’étais peintre ou chef coq, ce serait pareil. »
Vous vous sentez toujours en contact avec votre mère d’une manière ou d’une autre?
« Je pense à elle tout le temps, mais en tant que maman, pas en tant que parfumeur. Elle est partout. je la vois tous les jours en regardant ma fille. Paradoxalement, je ne pense pas à elle quand je travaille. Là je veux prendre ma place. C’était quelqu’un de très présent. Exigeante mais gentille, et généreuse aussi. »
Aviez-vous déjà un nez aguerri quand vous étiez enfant?
« Oui je pense mais je m’en suis rendu compte qu’en rentrant dans l’univers de la parfumerie. J’avais conscience des odeurs qui m’entouraient. Je le dois en grande partie à mon père, qui était peintre. J’ai grandi à Paris, mais mon père détestait la ville. Chaque fois qu’il en avait l’occasion, il me pêchait à la sortie de l’école et on partait à la mer ou à la campagne. Ce qui fait que mes devoirs n’étaient jamais faits! ».
La nature est-elle une grande source d’inspiration pour vous?
« Oui! Plus je vieillis et observe ce qui m’entoure, je réalise à quel point la vie et la nature sont précieuses. Mais l’inspiration ne vient jamais au moment où vous la cherchez. Elle arrive d’un coup, d’une manière presque magique. Vous êtes sous son emprise. »
Je suppose que vous ne pouvez pas simplement prendre une odeur «mer» dans votre orgue à parfums? Comment faites-vous un parfum qui suggère cette atmosphère?
« En réalité, la mer est un ingrédient comme un autre. Tout comme une fleur, elle est assez concrète et facile à reproduire. Il existe différentes molécules iodées. Pour un parfum qui évoque la mer, il faut ajouter d’autres ingrédients qui complètent l’image et appellent aussi les bonnes associations. Trouver le bon équilibre et les ingrédients est la partie difficile du métier. »
Faites-vous la distinction entre les ingrédients naturels et synthétiques?
« J’aime les deux. Lorsque vous comparez des matériaux synthétiques avec la palette de couleurs d’un peintre, vous avez plus de couleurs disponibles. Une odeur de rose synthétique, par exemple, s’approche parfois plus de l’odeur d’une rose qu’une solution naturelle de romarin. Les ingrédients naturels sont plus complexes ont plus de facettes et de molécules, et leurs parfums se développent encore sur la peau par la suite. Je préférerai toujours une vraie rose sur un synthétique. «
« Mais certains parfums n’existent pas dans la nature. Et c’est là que les produits synthétiques sont utiles. Ils ne peuvent pas remplacer la nature mais ils la complètent. »
Tenue de Soirée d’Annick Goutal, 138 € chez Senteurs d’Ailleurs.
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