Sommaire
(NDLR : Marie Darah s’identifiant comme non-binaire, nous avons adopté l’écriture inclusive pour cet article)
Avant tout, on aimerait que tu nous parles de tes débuts en tant que slameureuse
L’art fait partie de ma vie depuis longtemps. J’ai toujours eu une fibre artistique quand j’étais petit.e, que ce soit du piano ou encore du chant. Après avoir poursuivi des études au conservatoire en art de la parole, j’ai commencé la galère des castings et enchaîné les jobs alimentaires. Et ça a duré 10 ans où j’ai connu une période trash entre drogue, alcool et prostitution. Un peu avant 2020, j’ai participé à un concours de slam qu’une amie m’avait conseillée. Là un tournant dans ma vie s’opère. Les gens m’invitent aux événements et me tendent la main. Je me sens porté.e par cet univers bienveillant qu’est le slam.
C’est quoi les codes du slam ?
C’est un monde de bisounours où les artistes ne sont pas là pour gagner mais s’exprimer avec des textes intimistes. Concrètement, en compétition les slams doivent durer trois minutes et sont notés à partir de cinq notes données par le jury pour que ce soit le plus juste possible. Pour soutenir le/la slameur.ese le public claque des doigts pour montrer qu’il respecte l’initiative de monter sur scène. La seule règle c’est que le texte doit être personnel, et qu’il ne doit pas inciter à la violence. Ce qui est chouette que ça s’ouvre de plus en plus aux femmes et aux personnes non-binaires : il y a une démocratisation des voix entendues.
Pourquoi slameur.euse et acteur.ice sont deux casquettes différentes ?
Avec le slam, on défend sa propre écriture et c’est une manière de se dénuder émotionnellement et psychologiquement lorsqu’on choisit des thématiques graves. Il n’existe pas la barrière d’être un personnage et il y un travail à l’écrit mais aussi dans la performance. Où est-ce que j’ai envie de ralentir ? Comment je peux faire en sorte que ce soit audible ? Dans la mesure où c’est ma propre sensibilité, je lutte pour ne pas m’approcher du gouffre que j’essaye de raconter. Le gouffre c’est le mien.
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Dans tes textes, tu parles du racisme et du patriarcat. Pourquoi c’est important pour toi d’en parler ?
Je pense qu’ils existent des injustices énormes. J’ai vécu de fortes oppressions (racisme ordinaire et patriarcat tout le temps) et je ne veux pas que ça arrive aux autres. Dans ma tête il y a des incohérences en tant que victime : j’ai réalisé que je vis en permanence avec un violeur dans ma tête. Dire les choses c’est une manière de ne pas les perpétuer.
« Le slam, c’est une manière de se dénuder émotionnellement et psychologiquement »
Est-ce que tu as le sentiment de faire passer un message ?
Oui, j’ai envie de briser le silence et que ça ne se reproduise pas. Je veux faire comprendre que le patriarcat c’est pas que le fait que les femmes ne soient pas bien payées : elle le subissent toute la vie. Je veux témoigner de ce qui m’est arrivé.e et c’est devenu le sens que j’ai trouvé à ma vie. Cette réalité n’est pas que la mienne.
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Et ton écriture justement, est-elle thérapeutique?
J’écris depuis toujours, mais mon écriture à changer. Avant j’écrivais en disant « c’est injuste » il n’y avait pas de but, ni de cible. À présent j’ai compris qu’il y a des violences systémiques dans la société et que les gens n’ont pas tous les mêmes choix dans la vie. En 2020 j’ai écrit un livre Depuis que tu n’as pas tiré (publié aux éditions Révolution MaelstrÖm) où j’interroge la question du choix. Un enfant qui n’a rien, qui est dans la rue ne fait pas le choix de la criminalité : il survit. Je cherche à trouver des solutions et c’est ça qui est thérapeutique. L’écriture me sauve la vie tous les jours.
Tu peux revenir sur le texte poignant « Bravo », que tu as joué lors du championnat européen ce 8 décembre 2021 ?
J’ai longtemps eu de gros problèmes de dépendances à l’alcool. Maintenant que je suis sobre depuis 3 ans, il n’y a plus d’échappatoires pour toutes ces émotions que je ne peux pas contrôler. En fait, ce texte parle d’addiction à l’alcool mais aussi de toutes les choses difficiles qui me sont arrivées. Le plus dur n’est pas d’arrêter de boire mais d’apprendre à vivre avec les traumas sans être aidé par des substances.
En ce moment tu écris un recueil de poèmes, « Sur le Noir du Tarmac ». De quoi s’agit-il ?
32 ans de fractures en un an d’écriture… il s’agit de ce que j’ai écrit depuis un an racontant tout ce qui m’est arrivé.e dans la vie dans un format slam ou format plus court de poèmes. Déconstruire pour reconstruire une meilleure société, en lien avec le patriarcat. Le recueil sortira aux éditions Révolution MaelstrÖm en français, et je l’espère en anglais pour le concours européen.
Comment appréhendes-tu les championnats mondiaux qui auront lieu à Bruxelles en septembre 2022 ?
Étant en Belgique, c’est l’année où je n’ai pas de perspectives de vacances ! On sera une quarantaine de participants venus d’Europe, d’Amérique ou encore d’Afrique. Il faut que je choisisse une thématique au niveau mondial, donc être stratégique entre l’universel et le personnel. Peut-être que d’ici là j’écrirai un texte plus poignant encore, qui sait…
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