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C’est assez rare de démarrer une interview par ces questions : « Qu’allez-vous manger ce soir ? Aimez-vous cuisiner ? ». C’est ce que m’a demandé Beth Ditto avant d’entamer un échange, via Zoom, avec neuf heures de décalage horaire. Pour la star américaine, résidant à Portland dans l’Oregon, il est l’heure du café matinal et elle se réjouit d’apprendre que oui, j’aime faire la cuisine et que mon dîner se composera de saumon et de pommes de terre grenaille. En 2017, j’avais eu la chance de la rencontrer à Londres pour la sortie de Fake Sugar, son album solo qui coïncidait avec l’annonce de la fin de Gossip, son groupe de new
punk-rock. Or, voici que Gossip revient. Avec un album rempli d’hymnes rock-pop et une pointe de disco.
Que vous est-il arrivé, à vous et au groupe, ces dernières années ?
Lorsque vous êtes dans un groupe, tout est très interdépendant. C’est une dynamique extrêmement étrange. Cela peut se comparer à une famille. En tournée, on fait tout ensemble, manger, dormir. J’ai vécu avec le groupe depuis mes dix-huit ans. Et nous avons enregistré des albums depuis cette époque. C’était une agitation permanente dans laquelle il est difficile de grandir, car vous manquez d’un espace personnel. Or, vous avez besoin de cet espace pour réfléchir aux étapes que vous avez traversées et envisager votre avenir. Je compare souvent cela à une relation sentimentale. Quand on s’est mariée jeune et qu’on a évolué ensemble. Mon background est punk et les standards qui régissent ce milieu diffèrent de ceux des autres personnes du milieu de la musique. Ainsi, pour nous, le succès n’était pas un but. Le nombre de disques vendus n’a jamais prévalu pour nous. Mais l’industrie du disque considère les choses autrement. Alors, on change mais pas trop quand même. Entre Nathan, le guitariste, Hannah, la batteuse, et moi, il y a beaucoup d’amour.
Aujourd’hui, êtes-vous devenue une autre personne ?
En fait, j’ai l’impression d’être la même. Mais je suis devenue une adulte. Et heureusement. Mais je remarque que beaucoup de personnes autour de moi, notamment dans le milieu queer, ne parviennent pas à grandir et à vivre en adultes parce qu’elles manquent de conseils et de repères. Je refuse d’être une femme de quarante-deux ans qui ferait un album qu’elle n’aime pas. Je veux faire des choses dont je suis fière.
Real Power est un album très puissant et assez politique.
S’il l’est, ce n’est pas intentionnel. Ce qui s’est produit récemment aux États-Unis, durant la période du Covid, c’est que tout le monde a perdu un être cher. Ma tante est décédée, certains de mes amis aussi. Il m’est encore pénible d’en parler. J’ai trouvé qu’il y avait un grand manque de compassion pour les autres. Pourtant, nous avons subi un trauma global tous ensemble et cet album a été conçu durant cette période. Et depuis, le monde est en ébullition dans nombre d’endroits, en Europe comme au Moyen-Orient ou en Afrique. C’est comme si chaque jour était dur. Et l’autre jour, alors que je roulais dans ma voiture, j’écoutais nos nouveaux morceaux et je réfléchissais. Et je me demandais si ce disque est politique, oui, dans le sens où nous essayons de changer le monde, mais on oublie que cela exige des efforts considérables de notre part. J’ai l’impression qu’il n’y a pas d’espace pour la douceur et pour la compassion. Or, pour moi, il est important de manifester de la gentillesse à l’égard des autres. Je ne dis pas qu’il faut aimer ceux qui ne méritent pas votre amour. Mais dans un monde qui n’est plus le même, il faut essayer de garder du respect pour les autres. Parce que nous sommes tous anxieux et effrayés.
Donc, le vrai pouvoir est celui de démontrer notre humanité ?
Oui, nos émotions et notre compassion. Nous avons accès à des milliers de personnes. Et nous n’en faisons rien qui vaille la peine. Ce n’est pas durable.
Vous préférez aller à la rencontre des gens en vrai plutôt que sur les réseaux sociaux ?
Durant le Covid, j’ai tellement redouté d’affronter le monde que cela m’a gravement déprimée. Je me suis demandé si j’étais la seule dans ce cas. Et en fait, non. Beaucoup de gens ressentaient la même chose.
En novembre prochain, auront lieu les élections présidentielles américaines. L’une de vos nouvelles chansons pourrait-elle leur servir d’hymne ?
Peut-être Turn The Card Slowly, mais c’est une chanson triste. Cela parle d’une relation dans laquelle on n’est plus heureuse, et pourtant, on a peur d’envisager le moindre changement. Mais il faut tourner les cartes lentement pour que le changement se produise.
Pour ce disque, vous avez retravaillé avec le célèbre producteur Rick Rubin. Pour quelle raison était-ce important ?
J’aime travailler avec lui parce qu’il n’y a pas de limites. Il nous encourage et il est excellent avec les groupes. Quand j’étais gamine, je rêvais d’être Kim Gordon, la chanteuse de Sonic Youth ou Kathleen Hanna, du groupe Bikini Kill. Ma voix sonnait comme celle d’une choriste, pas celle d’une chanteuse de punk-rock, et pourtant, c’est ce que je désirais être. Rick m’a encouragée à utiliser ce que j’avais. Avec lui, rien n’est jamais forcé. Et nous aimons beaucoup parler ensemble. Et il apprécie Nathan comme guitariste bien que ce ne soit pas un musicien très technique. Donc, avec lui, faire des chansons est facile. Et pour moi, cela doit être facile.
Vous avez démarré votre carrière avec Gossip, en 1999. Aujourd’hui, la Génération Z est fascinée par les années 2000. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Cela a du sens pour moi. J’ai une nièce de vingt-quatre ans, des neveux de vingt et dix-neuf ans. Donc, il y a beaucoup de Gen Z autour de moi. L’autre jour, l’une de mes nièces de dix-sept ans m’a demandé de me faire une playlist punk-rock. Et elle est, aujourd’hui, obsédée par les Yeah Yeah Yeahs. C’est bizarre d’observer cet engouement pour une période à laquelle j’ai pleinement participé et connu d’énormes succès. Alors, pourquoi c’était cool, les années 2000, parce que internet existait déjà mais il ne dirigeait pas le monde. On pouvait déjà avoir un téléphone portable mais tout le monde n’en possédait pas. On pouvait déjà être sur des réseaux sociaux mais on avait encore accès aux autres sans cela. Ce côté magique de pouvoir parler avec une amie vivant à Londres, par exemple, était nouveau et excitant. Et lorsque l’on montait un show, on faisait encore des flyers parce que l’on ne pouvait pas atteindre tout le public via internet. Et chaque scène semblait différente. On ne pouvait pas comparer immédiatement les visuels et les sons des uns et des autres.
Vous êtes une icône aux yeux de nombreuses personnes. Et votre engagement pour les droits de la communauté LGBTA+ comme votre discours contre la grossophobie et pour l’acceptation des grandes tailles ont amené des changements positifs.
J’ai toujours désiré faire comprendre aux gens qu’ils ne sont pas seuls. Et que nous reconnaissons leurs combats. La musique a beaucoup de sens pour moi. Elle a sauvé ma vie. Et c’est bon de savoir que cette musique a pu aider d’autres personnes.
Vous aimez beaucoup la mode. Mais qu’est-ce que vous lui trouvez ?
Je la trouve amusante. Je trouve le monde de la mode plus fun que celui de la musique. Je préfère discuter avec un groupe de femmes queer à propos de lignes de vêtements qu’avec le CEO d’un label discographique.
Pour quel créateur de mode seriez-vous prête à défiler ?
C’est une grande question ! Je crois que je préfère juste regarder les défilés. Pour être honnête, j’ai défilé deux fois déjà et je ne parvenais pas à marcher comme les mannequins qui sont tellement plus grandes que moi. Et elles marchent vraiment vite. C’est difficile d’aller à leur rythme. J’avais l’impression de devoir jogger. (Rires).
Gossip, Real Power, Sony Music. En concert le 30 juin au Festival Live/s Live à Anvers.
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