La cassette d’Eyes Without a Face de Billy Idol dans le walkman, les cabines téléphoniques comme refuges des amours contrariées, le fixe à cadran qu’on laisse sonner deux fois – plan secret mis en place devant le lycée pour que l’autre comprenne qu’il doit décrocher avant son « vieux »… Ou ce chewing-gum, qu’on retire juste avant le premier baiser, aussi maladroit qu’ineffaçable, et qu’on garde comme un précieux trésor.
Avec son très attendu L’Amour ouf, qui était en lice pour la Palme d’Or à Cannes, où il fut dévoilé pour la première fois le 23 mai dernier, Gilles Lellouche rembobine les années 80, en même temps qu’il nous raconte un âge sans époque : l’adolescence.
Le cocktail explosif de L’Amour ouf
Lorsqu’ils s’enamourent, Clotaire et Jackie ont 17 ans. Comme le nombre d’années à rêver à ce film pour son réalisateur. Adapté (avec Ahmed Hamidi et Audrey Diwan) de Jackie loves Johnser OK ? de l’auteur irlandais Neville Thompson paru en 2000, L’Amour ouf mêle romance adolescente et film de gangsters. Presque de mafia, à l’américaine. Ceci, sur fond de lutte de classes. Un cocktail qui étonne, tant il détonne des propositions du septième-art français.
Dans la première partie de cette réalisation au budget et distribution hors normes, Clotaire (Malik Frikah, bouleversante révélation), fils d’un docker violent (Karim Leklou) et d’une mère douce (Élodie Bouchez), zone avec sa bande de potes. En est même le leader, puisqu’il n’hésite pas à l’ouvrir ou à cogner, dès qu’il peut, devant ce lycée où il n’est plus scolarisé. Jusqu’au jour où « la nouvelle », élève studieuse qui débarque d’un bahut privé catholique, ose lui tenir tête.
Jackie (Mallory Wanecque) et Clotaire plongent alors ensemble dans la passion du premier amour. Ou de la dernière innocence : Clotaire, qui n’a pas cessé ces larcins, pire, s’est endurci auprès d’un gang aux ordres d’un cruel Benoît Poelvoorde, se voit condamner à passer la prochaine décennie derrière les barreaux.
Arrêt brutal de l’idylle, saut dans le temps : place aux deux acteurs chéris du public français, François Civil et Adèle Exarchopoulos, pour incarner le tandem en fin de vingtaine.
Quand Gilles Lellouche flirte avec la magie
Ça se rattrape comment, dix ans ? On reprend comment le fil(m) d’un amour ouf ? Dans cette seconde moitié, Gilles Lellouche raconte d’abord le retour de Clotaire, enragé par l’injustice, à sa cité et à l’ennui d’une part, la vie aisée de Jackie, fiancée à un cadre prometteur dans son secteur (Vincent Lacoste et son polo rentré dans le pantalon), de l’autre. Leurs vies parallèles, dans tous ces sens : si différentes, qu’elles ne pourraient jamais se croiser, et à la fois si similaires, qu’ils éprouvent secrètement le même manque obsédant.
Et puis, les retrouvailles de deux cœurs éteints, comme la réunification d’un seul corps. Que dire, sans trop en dire ? Que cette première image dévoilée il y a quelques semaines – ces deux ombres face à face dans la nuit bleue -, prend tout son sens. Que ce deuxième tandem nous convainc autant que le premier. Que certains dialogues nouent la gorge. Qu’Alain Chabat nous chamboule dans le rôle du père veuf de Jackie. Ou que la photographie, l’image, comme certains partis de mise en scène et montage, sont ceux d’un passionné de cinéma, qui, avec audace, teste – beaucoup – jusqu’à créé parfois de la magie.
L’Amour ouf n’est pas une comédie musicale, comme il était annoncé ici et là, mais le travail pointu du son, plus encore du silence, offre un spectacle total. Il n’est pas non plus un conte romantique, modèle, « idéalisable ». Clotaire accumule les accès de colère plus que les green flags.
Dix ans sont passés en trois heures, et trois heures, en un battement de cœur.
L’Amour ouf, de Gilles Lellouche, avec Mallory Wanecque, Malik Frikah, François Civil, Adèle Exarchopoulos, Alain Chabat, Vincent Lacoste… En salles.
Source : Marie Claire France
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